La communauté franco-portugaise est mourante

Par

C'est un chant du cygne auquel nous assistons. Jamais il n'y a eu autant de fêtes, de médias tournés vers la communauté portugaise de France. Et pourtant, sur le long terme, la communauté est condamnée...


J’ai toujours vécu à cheval sur les deux pays, plusieurs années passées en France et au Portugal à tour de rôle. Cette caractéristique m’a donné un profond attachement aux deux pays. Si je passe trop de temps dans un pays, l’autre commence à me manquer.

Impossible de « sentir » le Portugal quand je suis trop longtemps en France

En sachant ce que c’est que de vivre longtemps au Portugal, je sais que la France ne peut pas me donner la même chose au quotidien.

Nous n’avons pas le même climat, nous n’avons pas le galão avec la torrada dans le café au bout de la rue (à un prix raisonnable), nous n’avons pas les mêmes préoccupations. En vivant en France, c’est la France qui est notre réalité. Notre école, notre salaire, notre entreprise.

Étant aussi Français, lorsque je suis en France, mon côté Portugais est ainsi mis en sourdine. Attention, je me sens encore plus Portugais quand je suis en France qu’au Portugal, mais je ne « pratique » pas le Portugal.

Et sans pratique, on finit par se rouiller.

Avec les années qui passent, le Portugal s’éloigne. Les quelques mises à jour pendant les vacances ne sont que des rustines, face aux réalités du quotidien vécu à l’année.

La culture portugaise en France : un pansement sur une blessure qui ne guérit jamais

En sachant que le Portugal allait leur manquer, les « emigrantes » de la première génération se sont associés, en essayant, tant bien que mal, de recréer un petit coin du Portugal en France. Il n’y a pas une ville ayant des Portugais qui n’a pas son association franco-portugaise.

Eux savent comment était la vie « au pays ».

Eux savent qu’avec l’association, ce n’est pas tout à fait pareil, on fait avec.

Comment réunir les Portugais autour d’un sujet commun, qui leur donne envie de faire partie d’une association?

Le Foot, principal facteur d’attachement au Portugal

Au Portugal, personne ne liera le foot à la culture. Je le fais pourtant ici sans problème. En France, nous sommes pour la Seleção pour des raisons culturelles. Ce sont nos origines qui jouent sur le terrain, nos semblables. Ceux qui chantent « A Portuguesa » avant les matchs.

La passion du foot, et les bons résultats des clubs et de la Seleção nous font vibrer. Alors oui, nous pouvons dire que nous sommes « Portugais », de la même façon qu’un supporter du PSG dit qu’il est « Parisien » sans jamais avoir mis les pieds à Paris.

C’est un amour souvent irrationnel que celui du foot.

Mais est-ce vraiment quelque chose qui nous permette de mettre du baume au coeur quand le Portugal nous manque?

Le marché franco-portugais

Pouvoir acheter des produits portugais à proximité est sans aucun doute la plus belle évolution de la réalité des emigrantes. Il y a beaucoup plus de commerces proposant des produits portugais qu’autrefois ! On peut y acheter du Sumol, de la marmelade, du bacalhau et même du poulet grillé à la portugaise.

Mais… il n’y a pas tout. Il n’y aura jamais. La sensation que nous pouvons avoir en entrant dans une boutique franco-portugaise n’est pas tout à fait la même que lorsque l’on rentre dans un Continente Bom Dia ou un Pingo Doce.

Au Portugal, les boutiques ne se sentent pas obligées d’en faire des tonnes sur le côté « portugais ». Elles nous vendent juste des produits que l’on va acheter par besoin, sans ce côté ethnique, communautaire.

Les médias

Le lien culturel avec le Portugal passe par les médias franco-portugais. Nous avons, entre autres, le Lusojornal et la Radio Alfa, qui sont tournés vers la communauté franco-portugaise. Ils vont nous dire qu’elle est la prochaine fête des emigrantes à Champigny, quel est le score aux élections d’un franco-portugais, et parfois, nous retransmettre les résultats du championnat portugais ou des élections au Portugal.

Ils font un travail utile et nécessaire, mais en les écoutant, on comprend bien que nous n’habitons pas au Portugal. Même chose pour les chaînes de télévision internationales du Portugal, que ce soit RTPi, Sic Internacional ou TVI Internacional.

Quand vous avez vécu au Portugal, vous savez que ce n’est pas pareil. Ce n’est pas la même chose que d’avoir une publicité pour Pingo Doce entre deux telenovelas dans une « pastelaria » du quartier.

Nous n’avons donc en France, en Suisse, au Luxembourg… qu’une version « de secours » du Portugal.

Le Rancho?

Alors certains vont monter une association de rancho. Du folklore, très apprécié dans le nord du Portugal par les « anciens », avec quelques jeunes qui pratiquent également. Notez : « quelques » jeunes, pas « beaucoup » de jeunes.

Un spectacle de rancho pendant la Foire du Trône de Paris
Un spectacle de rancho pendant la Foire du Trône de Paris

Le souci, c’est que ces ranchos sont souvent associés au Minho. Les emigrantes en France ne sont pas tous du Minho, et celui qui vient de l’Alentejo ou de l’Algarve, s’il veut faire partie de l’association franco-portugaise de sa ville, doit continuer une tradition qui ne lui correspond pas.

Imaginez donc un Marseillais qui se met à faire des danses bretonnes aux États-Unis, parce que « c’est Français ».

Notre Portugais de l’Alentejo, même s’il fait du rancho du Minho, s’éloigne de sa région d’origine.

Les fêtes franco-portugaises

Un grand moment de convivialité entre Portugais, que ces fêtes ! C’est ici que l’on mange des sardines, des bifanas, au son d’une bonne pimba.

Réfléchissons une seconde. Est-ce vraiment ça, le Portugal ?

Ça ressemble plutôt aux fêtes de village du mois d’août. Des fêtes qui se plient souvent pour plaire – aussi – aux emigrantes. En France, les organisateurs se sentent obligés d’en faire des tonnes avec le Portugal, et c’est bien normal à bien y penser !

Maintenant, imaginez que la musique pimba, c’est pas forcément votre tasse de thé. Vous n’aimiez pas au Portugal, il n’y a aucune raison que vous aimiez en France. Dans ce cas, pourquoi aller à une fête franco-portugaise?

Peut-être pour voir vos amis, votre famille franco-portugaise, que vous voyez peut-être déjà assez souvent autour d’un barbecue le weekend?

Ces fêtes franco-portugaises restent loin de ce que l’on peut vivre au Portugal, où c’est toute la ville qui se met à l’heure de sa fête. Pensez aux Fêtes de la Saint Jean de Porto, à la fête des Tabuleiros de Tomar !

Les vacances au Portugal

Le problème des vacances, c’est que justement, ce sont des vacances. Passer ses journées à la plage, à faire la fête ou à visiter, ce n’est pas non plus « pratiquer » le Portugal. Tout le monde il est beau il est gentil, en vacances.

Il s’agit d’une version édulcorée du Portugal. Pire, bien souvent, nous ne sommes pas les seuls « emigrantes ». C’est fou le nombre de personnes qui prennent leurs vacances au mois d’août, recréant par la même l’ambiance des fêtes franco-portugaises, mais au Portugal.

Dans « franco-portugais », il y a « franco », tant et si bien que parfois, les Portugais qui habitent à l’année au Portugal, ont du mal avec ces emigrantes peut-être trop français pour eux.

La langue portugaise

Parler en portugais est la plus forte liaison que nous puissions avoir avec la mère patrie. Mais, et c’est bien naturel, avec le temps, cette langue va se modifier, va s’enrichir de mots du pays d’accueil. Ce n’est plus tout à fait la même langue qu’au Portugal.

De plus, dans un souci d’intégration dans leur pays d’accueil, de nombreux Portugais ne parlent pas en portugais à leurs enfants, les éloignant abruptement du Portugal.

Ce ne sont plus que des Portugais de sang, avec une culture hybride, loin, très loin, de la réalité des Portugais du Portugal.

La deuxième génération

C’est à partir de la deuxième génération que notre communauté franco-portugaise commence à mourir.

Les enfants des emigrantes, nés en France, ne sont plus, par définition, des emigrantes. Ayant grandit en France, ils sont culturellement et avant tout, Français. Des Français très influencés par le Portugal, oui, mais Français.

Ils se revendiquent en revanche, Portugais, et surtout pas Français ! C’est le côté communautariste qui parle. Un phénomène qui a pris de l’ampleur à la fin des années 1990. Cette montée des communautarismes a provoqué bien des dégâts auprès des jeunes générations, qui ne veulent plus nier leurs origines comme autrefois, mais nient le Français en eux.

Ce n’est pas forcément un mal, tant que l’on ne renie pas le pays qui nous a vu naître, celui qui a nourrit nos parents.

Je suis un deuxième génération, mais qui a eu la chance de pouvoir vivre sur de longues années au Portugal. Mes parents ont toujours été très attachés au Portugal, et m’ont nommé José, pas Thierry ou Sylvain.

Dès le départ, il y a ainsi une différence, entre ceux qui portent un prénom portugais et les autres. C’est toujours plus compliqué de se sentir pleinement Portugais avec un prénom français.

Comment parler de quelque chose que nous ne connaissons pas?

C’est compliqué, n’est-ce pas? En parlant mal la langue, en n’ayant pas vécu des années au Portugal, tout ce que nous savons du Portugal, c’est ce que nos parents nous ont transmis. Ce que les évènements franco-portugais nous ont transmis. Des versions idéalisées, qui ne conviennent pas forcément à tout le monde.

Pas en tout cas au franco-portugais que je suis. Je ne suis pas un appréciateur de musique pimba ou de rancho, je n’aime pas particulièrement les foules et j’ai du mal à manger des produits portugais de qualité moyenne, juste parce qu’ils sont « portugais ».

Non, moi, ce que j’aime c’est de parler longuement en portugais, autour d’un café, calmement.

Le Portugal reste pourtant encore très fort dans le coeur de cette deuxième génération, qui a une culture commune forte. Qui n’a pas fait le voyage France / Portugal en voiture ? Qui n’a pas vécu dans un petit logement, pendant que le papa maçon et la mère femme de ménage travaillait ?

Même si vous ne l’avez pas vécu à 100%, vous connaissez les histoires, vous connaissez les clichés.

Bien intégrés

Nés dans le pays d’accueil des parents, y ayant fait toute sa scolarité et très probablement toute sa carrière professionnelle, la deuxième génération réussit aussi bien dans la vie qu’un Français de « souche ».

Il n’y a que très peu de différences sociales, sauf peut-être pour des postes de très haut niveau.

Même ceci tend à s’estomper, Carlos Tavares étant là pour nous le prouver, lui qui n’est même pas un Portugais de deuxième génération !

Aussi bien intégrés, c’est naturellement que le conjoint soit lui aussi né en France. Il existe bien des histoires d’amour commencées au village pendant le mois d’août, mais elles restent en définitive assez rares.

La plupart fini par se mettre en couple soit avec un autre franco-portugais, soit avec un conjoint français. Dans tous les cas, la langue principale dans le couple est le français. C’est plus facile, plus fluide de parler dans sa langue maternelle, celle que l’on a appris à l’école et que l’on maîtrise le mieux.

Le Portugal? De temps en temps, au gré des fêtes, des vacances et de quelques médias qui nous rappellent que nous avons une liaison au Portugal. Peut-être écouter les matchs du Benfica, notre « club du coeur » à la radio, peut-être regarder les matchs de la Seleção à la télé.

Entre deux matchs de foot? Pas grand chose.

Dans ce contexte, qu’est-ce que le « Portugais de deuxième génération » va transmettre à ses enfants? Situation encore plus délicate lorsqu’un seul des deux conjoints est d’origine portugaise !

La troisième génération

Pour la troisième génération, les Portugais, se sont leurs grands-parents, souvent que d’un seul côté, maman ou papa. Le choix de vouloir appartenir à la communauté portugaise de France ou de Suisse n’appartient qu’à eux.

Ils peuvent par exemple, se dire que « le Portugal, c’était le truc de papy, pas le mien ». Les liens avec ce désormais lointain pays d’origine s’estompent.

Prenez Antoine Griezman. Il a grandit au sein de la communauté franco-portugaise, attaché au foot. Et pourtant, il ne se revendique pas Portugais, mais pleinement Français. Nous pourrions croire qu’il s’agit là d’une exception, mais nous avons tort.

Lire également : les franco-portugais du foot

Plus le lien avec le Portugal est lointain dans le temps, et moins il sera fort. Et c’est normal ! Qui invoque encore son arrière-grand-père pour clamer haut et fort son appartenance à un pays donné? Personne. Du point de vue du pays d’origine en question, ça pourrait même sonner ridicule, ou pire, comme étant de l’appropriation culturelle.

Dans ces conditions, avec le temps, nous le savons, les associations franco-portugaises vont finir par s’estomper. Selon le consulat de Paris, il n’y aurait plus que 231 associations en 2023 sur son aire consulaire, contre les 530 de 2010…

Ceux qui gardent un vrai lien affectif avec le Portugal vont préférer dépenser quelques jours de vacances au Portugal plutôt que d’aller voir du Quim Barreiros en banlieue parisienne. C’est à chaque jour qui passe, toujours un peu plus le cas. Il faut dire qu’il est beaucoup plus facile qu’autrefois d’aller se ressourcer au Portugal ! Les billets d’avions sont devenus accessibles, rien à voir avec le long voyage en voiture que nous faisions une fois par an…

Les « nouveaux » emigrantes

La force des associations franco-portugaises, c’est de pouvoir intégrer les nouveaux emigrantes, qui arrivent tout juste du pays. Les associations, la communauté, reçoit ainsi du sang neuf.

Sauf que ces nouveaux emigrantes ne sont pas tout à fait comme ceux des années 1960 ou 1970.

Pour eux, le Portugal est toujours très proche, à portée d’un EasyJet ou d’un RyanAir. Pour eux, la famille est à portée d’un appel en visio, d’un réseau social. Ils ne vont pas se mettre subitement à aimer la pimba parce qu’ils sont loin du Portugal.

Nous ne pouvons pas nier leur importance dans le renouveau des associations, mais elle est bien moindre que par le passé. Ils vont tuer le mal du pays en y allant directement, pas vraiment en s’inscrivant dans un rancho…

Ma décision pour mes enfants

En prenant acte de cette impossibilité de faire connaître réellement le Portugal à mes enfants, nés en France de mère française, je n’ai pas cherché à faire semblant d’être au Portugal.

Je ne voulais pas que ce qu’ils connaissent du Portugal se résume aux fêtes à pimba, au foot et à une langue que j’aurais été le seul à leur parler dans leur entourage proche. Pareil pour les vacances au Portugal systématiques, je trouvais dommage de résumer leurs étés au Portugal, sans leur donner l’opportunité d’avoir des vacances ailleurs.

Que faire ?

Partir vivre au Portugal avec les enfants pardi !

Mais sans perdre le côté français, cela va de soi. Alors l’école est française (franco-portugaise serait plus exact), et la langue à la maison, française également.

Si j’ai maintenant des enfants parfaitement bilingues, parfaitement portugais et français, ils ne « servent à rien » à la communauté franco-portugaise. Ils ne vont pas aux fêtes des emigrantes, ne participent pas à un rancho du Minho en banlieue parisienne, et regardent encore moins le foot portugais à la télé.

Ils font simplement ce qu’ils aiment, loin des idées communautaristes. Violon et pas concertina, water-polo et pas foot.

Et la communauté franco-portugaise, qui aurait besoin de renouveau, continue de mourir petit à petit.

👉 Découvrez nos services d’aide à l’installation au Portugal.
Vous voulez habiter au Portugal ? Nous pouvons vous aider !


A lire aussi

×