Luís Vaz de Camões
Luís Vaz de Camões

10 juin : Jour du Portugal, de Camões et des communautés portugaises

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L'unité des Portugais, qu'ils habitent au pays où à l'étranger, est célébrée à l'anniversaire de la mort du plus grand des poètes portugais. Il s'agit du plus important des fériés portugais, le seul qui mette tout le monde d'accord.


Luís Vaz de Camões

Chaque pays, chaque langue a son récit, son épopée, son mythe fondateur. Les Lusiades, qui racontent en vers l’histoire mythifiée des Portugais, est une oeuvre majeure de la littérature mondiale.

Luís Vaz de Camões
Portrait de Luíz de Camões, fait encore de son vivant. Il lui manque un oeil, perdu au combat.

Son auteur, Luís Vaz de Camões (Camoens dans certaines graphies francophones), était à lui seul la personnification même de l’esprit Portugais de la glorieuse époque, celle des Grandes Découvertes. La légende raconte qu’il devint un militaire qui traversa les mers après un déboire amoureux, et qu’il perdit un oeil lors d’une bataille.

C’est lors d’un naufrage en Orient, à l’embouchure du Mékong, qu’il aurait nagé d’une main et porté Les Lusiades de l’autre. Indiscipliné, bagarreur, aventurier mais aussi noble poète aux idées grandioses, Camões est l’archétype idéalisé du Héros portugais.

Camões sauvant des eaux ses manuscrits
Camões sauvant des eaux ses manuscrits

Sa mort, dans une relative obscurité et pauvreté est presque un présage de ce qu’est devenu le Portugal après lui. Le 10 juin 1580 s’éteignait le Poète, la même année où le pays perdait son indépendance vis-à-vis de l’Espagne.

En clair : nul autre personnage de l’histoire portugaise ne représente aussi bien le Portugal que lui. S’il faut choisir un héros national, c’est lui.

Ce que l’on dit moins, c’est que le poète portugais est devenu populaire internationalement grâce à l’Espagne. Les espagnols appréciaient déjà de son vivant son oeuvre! C’est le roi Philippe Ier du Portugal (et II d’Espagne…) qui fit imprimer l’oeuvre et la diffusa le plus largement possible.

Roi Philippe II d'Espagne
Roi Philippe II d’Espagne, fils d’une mère portugaise

On oublie souvent que ce roi espagnol était le fils d’une princesse portugaise, raison qui le légitimait à prendre le trône portugais. On oublie qu’il était attaché à la culture portugaise, et qu’il avait tout avantage à intégrer Les Lusiades dans la culture ibérique. Peut-être que si Camões est si populaire, c’est un peu grâce aux espagnols…

Les 300 ans de la mort de Camões

En 1880, pour célébrer le troisième centenaire de la mort de Luís de Camões, le roi Luís I (Louis Ier de Portugal) accepta de lui consacrer une fête grandiose, une « festa nacional e de gala« .

Cette fête avait deux mentors : Ramalho Ortigão, grand défenseur du patrimoine portugais, et Teófilo Braga, l’un des Républicains portugais les plus célèbres. Braga a par ailleurs été, plus de 30 ans après cette fête, le deuxième président de la République Portugaise !

Terreiro do Paço, 1880
Célébrations du 10 juin 1880, sur le Terreiro do Paço à Lisbonne.

Pour lui, cette grande fête du 10 juin, où pour la première fois on célébrait Camões, était englobée dans un projet plus vaste. Celui de la laïcisation du Portugal, en mettant en avant une personnalité laïque et non religieuse, les prémisses nécessaires à l’instauration d’une république.

Le 10 juin 1880 fut ainsi l’année où les tombeaux de Luís Vaz de Camões et de Vasco da Gama firent leur entrée au Mosteiro dos Jerónimos. Fait curieux, les ossements du tombeau de Camões ne sont probablement pas ceux du poète. Lors du tremblement de terre de 1755, l’église où il reposait fut détruite.

Cette fête unique, qui marqua durablement les esprits, fut vite associée au républicanisme, bien malgré le roi Luís I…

Jour férié à Lisbonne

Avec l’avènement de la République en 1910, les jours fériés ont été remaniés. Il s’agissait de diminuer l’emprise de l’église sur les esprits. A ce moment là, le 10 juin n’était pas encore une fête nationale.

En 1919, la République institua le férié municipal. Chaque municipalité pouvait se choisir librement un jour dans l’année qui serait férié. Lisbonne, pétrie des idées républicaines, se choisit comme premier férié municipal le 10 juin, le « Dia de Camões« , le Jour de Camões.

Ce n’est qu’en 1925 que le 10 juin est devenu une « fête nationale », le « Dia de Camões e de Portugal« , bien qu’il n’était pas encore férié en dehors de Lisbonne.

Jour de la Race

Le 28 mai 1926, un coup d’état inaugure une nouvelle période de la vie politique portugaise. C’est l’instauration de la Dictature Militaire, devenue Dictature Nationale à partir de 1928. Les commémorations du 10 juin, moins de deux semaines après le coup d’état, prennent une tournure spéciale pour le nouveau pouvoir en place.

Le Dia de Camões devient le « Dia da Raça« , le « Jour de la Race ». On parlait ici de la « race portugaise ». Il s’agissait de célébrer les Portugais, leur Gloire, leur Passé et quelques autres notions chères aux régimes autoritaires et nationalistes.

Jour férié national de la dictature

En 1929, le 10 juin devient enfin un férié pour tous les Portugais. Lisbonne change alors de férié municipal, qui passe au 13 juin, jour de la Saint Antoine. Avec la nouvelle constitution de 1933 qui met en place le régime du Estado Novo sous l’autorité de Salazar, le 10 juin est confirmé en tant que jour férié national.

D’icône républicaine, Camões devient une figure de propagande nationaliste. Le 10 juin 1944, jour de l’inauguration du stade national du Jamor, près de Lisbonne, Salazar désigne cette date comme le « Dia de Camões, de Portugal e da Raça », glorifiant à nouveau les Portugais dans un élan patriotique aperçu lors de la dictature militaire.

Jour de l’Ange Gardien du Portugal

Toujours à la recherche d’une façon de faire grandir le « sentiment national » chez ses compatriotes, António de Oliveira Salazar « ressuscite » en 1952 l’Ange Gardien du Portugal. Issue de l’époque où Dom Afonso Henriques combattait les Maures, une tradition attribue l’archange Saint Michel à la protection du Portugal.

Bataille de Ourique
La bataille d’Ourique, où selon la légende forgée deux siècles plus tard, D. Afonso Henriques aurait eu la vision de l’archange Saint-Michel lui promettant la victoire.

On le fêtait alors le troisième dimanche du mois de juillet depuis 1504. Pratiquement oublié au XVIIe siècle, la fête sera réintroduite en 1952, en souvenir des miracles de Fatima. Cette fois, c’est le 10 juin qui sera choisi pour célébrer l’Ange du Portugal.

Une façon détournée d’apporter une dimension religieuse à une fête nationale qui n’était jusque là que laïque.

Hommage aux Forces Armées

A partir de 1963, le 10 juin devient également, en tant que fête nationale, une journée d’hommage pour les militaires portugais. Il s’agissait d’honorer les militaires d’alors, engagés dans les différentes guerres coloniales que le Portugal menait courageusement, mais inutilement pour tant de portugais.

La tradition est restée, le 10 juin étant désormais l’équivalent portugais du 14 juillet français. Chaque année, les militaires portugais défilent devant les plus hautes autorités portugaises. Chaque ville portugaise se doit de célébrer la date très officiellement. C’est l’occasion de distinguer les grandes personnalités qui ont contribué au bien de la nation portugaise, où l’on décerne des médailles.

militaires portugais
Militaires portugais

Jour des Communautés Portugaises

Avec le retour de la démocratie en avril 1974, le 10 juin change de symbolisme. Il n’est plus question de célébrer la « Race » portugaise. On célèbre, en plus du 10 juin, une nouvelle fête nationale, le 25 avril, « jour de la liberté ».

A partir de 1977, le 10 juin prend la dénomination actuelle, de Jour du Portugal, de Camões et des Communautés Portugaises. C’est également à partir de cette année que les commémorations « sortent de Lisbonne », avec d’autres villes pour épicentre de jour si spécial pour les portugais.

En 2016, le nouveau président Marcelo Rebelo de Sousa décide symboliquement de « délocaliser » les commémorations. Chaque année, outre une ville portugaise, le 10 juin est célébré dans une ville de l’étranger avec une forte communauté portugaise. Ainsi, en 2016, c’est Paris qui a été choisie.

C’est une façon très spéciale de célébrer dignement les « communautés portugaises », ces portugais vivant à l’étranger mais qui n’oublient jamais « leur » Portugal.

10 juin, seule date possible

Dans le calendrier portugais, d’autres jours auraient pu prétendre au titre de « Fête nationale ». Pourquoi pas le 5 octobre, date de la reconnaissance du Royaume du Portugal de la part de Castille à l’époque de Afonso Henriques, ou, plus proche de nous, de l’instauration de la République.

Mais non. Cette date est marquée « contre » les espagnols. Elle est marquée « contre » la monarchie.

Celle du 25 avril serait « contre » les conservateurs, nostalgiques de Salazar, et surtout, bien trop récente et loin de l’âme portugaise. C’est une date politique.

Luís Vaz de Camões est une figure fédératrice. Tant et si bien que même le roi du Portugal en personne avait accepté la proposition de la part d’un républicain notoire de le célébrer un 10 juin!

C’est aussi le symbole de la langue portugaise, le trait d’union des portugais, où qu’ils se trouvent.

As armas e os barões assinalados,
Que da ocidental praia Lusitana,
Por mares nunca de antes navegados,
Passaram ainda além da Taprobana,
Em perigos e guerras esforçados,
Mais do que prometia a força humana,
E entre gente remota edificaram
Novo Reino, que tanto sublimaram;

Sources


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