épave portugaise
épave portugaise

Le fatalisme portugais, notre triste Fado !

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Il semblerait que les Portugais soient fatalistes. Pire que la fatalité, le fatalisme nous indique qu’une force supérieure voue les portugais à l’échec. Mais de quel échec parlons-nous ? L’échec de retrouver un jour notre grandeur passée, celle des Grandes Découvertes, ou même l’or du Brésil ?


La destinée du Portugal ne dépendrait pas des Portugais eux-mêmes, mais de Dieu.

Ce fatalisme, on le retrouve un peu partout dans la culture portugaise, comme nous allons le voir. Il est tout à fait central, mais heureusement, ça change !

Fado et Fatalité

On dit souvent que le Fado est l’âme portugaise. Ce style de musique, né à Lisbonne, exprimait au départ la Saudade, la nostalgie, quelque chose qui est perdu à jamais. Le mot « fado » dérive du latin fatum, le « destin » en français, qui est aussi à l’origine des mots fatalité et fatalisme.

joueurs de guitare portugaise

Si on dit que les Portugais ont le Fado dans le sang, ils ont forcément le fatalisme aussi. Je parle bien sûr du Fado originel, celui qui a démarré probablement dans les quartiers populaires de Lisbonne au XIXe siècle. Celui qui est devenu la musique portugaise par excellence au milieu du XXe siècle.

Des générations de portugais ont été bercés avec les paroles de ces musiques, ce qui, mine de rien, contribue énormément à la formation d’une mentalité collective. Bien sûr, le Fado est varié, il y en a aussi des joyeux ou de simples chansons d’amour. Mais ceux qui sont tristes marquent profondément. Et les voix du Fado sont particulièrement adaptées à l’émotion.

Fado Português

Pour mieux comprendre, je vous propose de lire les paroles d’une chanson d’Amalia Rodrigues, « Fado Português ». Cette chanson nous parle des origines même du Fado, celui qui était chanté par les marins du début du XIXe siècle. Les paroles sont de José Régio, un des plus grands poètes et artistes portugais du siècle dernier. Vous retrouverez, après les paroles en portugais, ma périlleuse tentative de traduction en français.

O Fado nasceu um dia,
quando o vento mal bulia
e o céu o mar prolongava,
na amurada dum veleiro,
no peito dum marinheiro
que, estando triste, cantava,
que, estando triste, cantava.

Ai, que lindeza tamanha,
meu chão, meu monte, meu vale,
de folhas, flores, frutas de oiro,
vê se vês terras de Espanha,
areias de Portugal,
olhar ceguinho de choro.

Na boca dum marinheiro
do frágil barco veleiro,
morrendo a canção magoada,
diz o pungir dos desejos
do lábio a queimar de beijos
que beija o ar, e mais nada,
que beija o ar, e mais nada.

Mãe, adeus. Adeus, Maria.
Guarda bem no teu sentido
que aqui te faço uma jura:
que ou te levo à sacristia,
ou foi Deus que foi servido
dar-me no mar sepultura.

Ora eis que embora outro dia,
quando o vento nem bulia
e o céu o mar prolongava,
à proa de outro veleiro
velava outro marinheiro
que, estando triste, cantava,
que, estando triste, cantava.

Traduisons maintenant ce texte.

Le Fado est né un jour,
quand le vent soufflait à peine,
et le Ciel la Mer prolongeait,
sur la batayole d’un navire,
dans la poitrine d’un marin,
qui, étant triste, chantait,
qui, étant triste, chantait.

Aille! Quelle immense beauté,
mon sol, ma colline, ma vallée,
de feuilles, fleurs, fruits d’or,
vois si tu vois terres d’Espagne,
sables du Portugal,
regard aveuglé de pleurs.

Dans la bouche d’un marin
du fragile bateau voilier,
la chanson blessée mourante,
raconte la tourmente des désirs
des lèvres à brûler de baisers
qui embrasse l’air, et rien d’autre,
qui embrasse l’air, et rien d’autre.

Mère, au revoir. Au revoir Maria.
Garde bien dans ton esprit
que je te jure ici :
ou je t’emmène à la sacristie,
ou c’est Dieu
qui me donne en mer sépulture

Et voici qu’un autre jour,
quand le vent ne soufflait pas,
et le Ciel la Mer prolongeait,
à la proue d’un autre voilier,
un autre marin naviguait,
qui, étant triste, chantait,
qui, étant triste, chantait…

On a connu plus joyeux comme chanson.

Le premier marin est donc mort. Le deuxième, qui revit la même histoire, va aussi probablement mourir.

Pour l’anecdote, ce poème a été mis en musique par Alain Oulman, un franco-portugais né à Lisbonne. Homme de gauche et antifasciste, il avait dû fuir le Portugal, se réfugiant à Paris. Faut croire que son séjour dans les prisons de la police politique, la PIDE, ne lui avait pas plu.

Fado da Sina

Encore plus tragique que le « fado português » : le « fado da sina ». « Sina » en portugais, est un équivalent du mot « destin ». Les chansons sont d’une déprime absolue, et expriment que trop bien dans quoi ont baigné les portugais du XXe siècle. Je ne met ici que le refrain, le reste est trop dépressif :

Não podes fugir
Ao negro fado mortal
Ao teu destino fatal
Que uma má estrela domina
Tu podes mentir
Ás leis do teu coração
Mas ai, quer queiras
Que não
Tens de cumprir a tua sina!

Que l’on pourrait traduire par :

Tu ne peux fuir
au fado noir mortel
à ton destin fatal
qu’une mauvaise étoile domine
Tu peux mentir
aux lois de ton cœur,
Mais aille, que tu le veuilles
ou non
Tu devras accomplir ton destin !

L’interprétation de la chanteuse Herminia Silva que l’on peut voir dans le film « Um Homem do Ribatejo » est notable.

Vous avez vu comme le « public » passe de la joie, voire même de l’hilarité au sérieux au fur et à mesure que Herminia Silva chante ?

La célèbre écrivaine portugaise Margarida Rebelo Pinto disait en 2010, dans un article de Sol, que le fado « peut faire du bien à l’identité nationale », mais qu’il ne faisait pas du bien « au cœur ni à l’âme ». On pourrait être d’accord, si on se limite aux fados tristes de l’ancien temps. Ces fados ont franchement fait beaucoup de mal au moral. Ils sont beaux, ils font pleurer, mais si on y pense bien, à quoi ça sert, de pleurer, si nous n’avons pas été blessé ?

Heureusement, le fado n’est pas (plus) que ça !

La littérature

Les grands écrivains et poètes portugais des XIXe et XXe siècles sont empreints de fatalisme, dans lequel le Fado est venu boire. Un pessimisme collectif que l’on perçoit entre les lignes d’une Florbela Espanca, d’un Antero de Quental ou d’un Camilo Castelo Branco, par ailleurs tous suicidés !

Cette mésestime collective des Portugais est bien trop présente dans la production culturelle nationale de ces derniers siècles. Il est insupportable pour certains que le petit Portugal soit relégué à la périphérie européenne, lui qui était autrefois au centre du monde. Un complexe d’infériorité, qui semble être accompagné d’une certaine jalousie envers ceux qui ont réussi.

Teófilo Braga, monument de la littérature portugaise et deuxième président de la République, a longuement réfléchi à ce fatalisme national. Dans son livre « la patrie portugaise, le territoire et la race », il constate que ses compatriotes souffrent d’un « fatalisme incurable », un peuple qui croit aux miracles pour le sauver.

Teófilo Braga
Teófilo Braga. Avec son veuvage, il vécu reclus dans son bureau jusqu’à sa mort.

C’est dire si ce livre, écrit en 1894, pouvait être prémonitoire par rapport aux miracles de Fatima en 1917 ! Fatima, dans ce sens, n’a rien fait pour améliorer la mentalité portugaise.

Priez beaucoup, peut-être que vous serez sauvés.

Teófilo Braga était un ibériste convaincu. Pour lui, le seul moyen pour le Portugal fataliste de s’en sortir, c’était de s’unir à l’Espagne.

La résignation portugaise

Au Portugal, on souffre du « à quoi bon », un genre de résignation collective, qui fait croire que les Portugais ne pourront plus jamais accomplir de grandes choses.

Si on y pense bien, c’est peut-être normal. Le pays est petit. Il ne pourra jamais se comparer aux grandes puissances mondiales. Mais dans les cours d’Histoire, les petits Portugais apprennent que le pays a déjà été une puissance mondiale !

Cette aporie, traduite par l’impossibilité de revenir à cette grandeur passée est lourde de conséquences. Le Portugais, dans son fort intérieur, ne se compare pas à une Autriche ou une Grèce, mais directement à l’Allemagne, la France ou au Royaume-Uni.

Du calme, les amis ! Ce fatalisme, ou plutôt, cette « saudade », ce rêve impossible doit être dépassé pour que l’on puisse aller de l’avant.

La résignation portugaise est encore très présente aujourd’hui. En 2012, au plus fort de la crise qui a mis le Portugal pratiquement sous la tutelle de la « troïka », le New York Times évoquait cette résignation tout à fait portugaise. La publication américaine s’étonnait du conformisme portugais, je dirais même de l’indolence face aux nombreuses pertes d’acquis sociaux.

Plus près de nous, la pandémie de coronavirus de 2020 a encore une fois mis en lumière cette résignation. Mais dans ce cas, c’est plutôt positif ! Les Portugais ont accepté sans broncher les mesures de restriction du gouvernement. Mais surtout, face à une catastrophe annoncée, fatale et qui ne peut que tomber sur les Portugais, le peuple a pris les devants et s’est confiné sagement.

Le pessimisme a cela de bon. Ceux qui pensent que « rien ne peut leur arriver » en ont fait les frais avec le covid-19.

Si Dieu le veut

Le fatalisme est insidieux au Portugal. Cette expression, « se Deus quiser » est typiquement portugaise. On le dit très souvent avec un « à demain ». Comme pour dire que ça ne dépend pas que de nous, mais aussi de Dieu. L’origine de cette expression pourrait remonter au « inch’Allah » des musulmans.

Il s’agit d’une facette du fatalisme musulman, qui nous indique que tout dépend de Dieu, que notre destin est déjà tracé. Le même « inch’Allah » est à l’origine du mot portugais « oxalá », que l’on pourrait traduire par « j’espère que… ».

Nous pouvons ainsi dire que le fatalisme portugais doit quelque chose aux lointains occupants musulmans. Mais évidemment, il ne s’agit ici que d’une infime explication, les espagnols n’étant absolument pas fatalistes « à la portugaise » !

Le Christianisme d’ailleurs n’aime pas trop le fatalisme. Pour Thomas d’Aquin, philosophe chrétien du Moyen Âge, nous sommes avant tout caractérisés par notre libre arbitre. Le libre arbitre n’est pas compatible avec le Destin. C’est à l’Homme d’écrire sa propre Histoire.

Ce fatalisme, cette résignation pourrait amener l’Homme à être paresseux et défaitiste. C’est forcé : pourquoi se fatiguer si de toute façon, nos actions sont vouées à l’échec ? La paresse, comme on le sait, est l’un des péchés capitaux du Christianisme !

Mais, attention, le raisonnement fataliste n’est valable que pour le Portugal et les Portugais, pas pour un Portugais.

Fatalisme collectif, liberté individuelle

Pris individuellement, le Portugais croit en sa chance. Il ne la croit juste pas au Portugal. C’est peut-être pour ça que, culturellement, il se dit que pour réussir, il est obligé d’émigrer ! Il aura beau travailler de toutes ses forces au Portugal, il n’arrivera nulle part, le pays est « sans espoir ». En revanche, à l’étranger, ça change tout. Nous pourrions nous poser la question, même aujourd’hui : a-t-il tort ?

Dans l’esprit national, seule la réussite à l’étranger compte vraiment. Tant qu’un Portugais reste dans ses frontières, il ne sera pas reconnu. Dès qu’il a du succès à l’étranger, il devient une star.

josé cid
José Cid

Deux exemples sont parlants. José Cid est certes une star au Portugal, mais inconnu à l’étranger. Très souvent critiqué d’être trop imbu de lui-même (la fameuse jalousie portugaise), il a eu le bonheur de rétorquer :

Si Elton John avait été né à Chamusca, il n’aurait pas eu autant de succès que moi.

En revanche, Amália Rodrigues, qui a porté les couleurs portugaises aux quatre coins du monde est une icône intouchable. Après la panthéonisation de ce qui n’est finalement qu’une chanteuse, il ne manque pas grand-chose pour que quelqu’un fasse une demande de canonisation ! Aurait-elle eu le même respect au Portugal si sa voix n’avait pas dépassé les frontières portugaises ? J’en doute.

Petit à petit, la mentalité portugaise, fataliste, change. Cristiano Ronaldo y est pour beaucoup. Il prouve que l’on peut réussir. Mais il ne s’agit que de foot. Le Portugais a besoin d’exemples de réussite économique, d’entreprises portugaises puissantes à l’étranger !

Ça viendra, mais il ne faut pas que cette réussite se doive aux bas salaires portugais. Cette réussie doit être le fruit du talent, du savoir-faire et de la maîtrise que nous avons au Portugal, en déplaise aux Portugais !

En un mot comme en cent : ras-le bol que les Portugais soient des résignés fatalistes.


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