Vencidos da Vida
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Portugal, pays tranquille : parce que les Portugais s’en fichent

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Vous savez pourquoi le Portugal est un pays sûr ? Parce qu'ils s'en fichent. Un "je-m’en-foutisme" assez imprégné dans les esprits, qui nous explique beaucoup de choses.


Est-ce que les Portugais soient plus humains que les autres ? Est-ce qu’ils sont plus tolérants que les autres ? C’est une question que l’on me pose assez souvent, et on aurait envie de le croire. Malheureusement, je pense que ce n’est pas tout à fait exact de penser que les Portugais sont plus tolérants qu’ailleurs. Il y a aussi quelque chose d’autre dans la culture qui fait en sorte que nous sommes un pays sûr et tranquille.

« Safoda »

Nous avons au Portugal la culture du « on s’en fout », ou, pour donner encore plus de force, la culture du « que ça aille se faire foutre », en portugais vulgaire « que se foda », souvent contracté en « safoda ». Les plus polis diront « que se lixe », moins vulgaire mais toujours très expressif.

Ces expressions sont imprégnées dans la culture portugaise, et sont bien plus fortes qu’un simple « on s’en fout ».

KSAFODA : vous avez peut-être vu collé sur les vitres des voitures franco-portugaises ces inscriptions avec « KSAFODA » dessus. Il s’agit de la contraction de « que se foda ». Ça n’existe pas ailleurs qu’en France.

C’est dans la culture portugaise que de ne pas se mêler de la vie des autres… à part pour parler dans son dos. Oui, je sais que c’est polémique, mais si vous regardez bien, pourquoi est-ce que les Portugais ne se révoltent pas ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a pratiquement pas de grève, à part les profs et quelques fonctionnaires qui ont leur emploi assuré ?

Parce que rien ne vaut le coup d’être perturbé dans sa tranquillité.

La chose qui nous perturbe peut nous déranger, c’est vrai. Mais tant pis, on s’en fout ! Il y a une chanson des « Deolinda », qui explique ça très bien. Elle commence par dire que ça les énerve, ils vont faire la révolution, mais pas aujourd’hui. Il y a le Benfica qui joue.

L’inaction

Beaucoup de choses peuvent énerver un Portugais.  Il va le dire, il va le crier haut et fort. Par exemple, qu’il n’aime pas l’homosexualité. Même s’il le dit, il ne va pas agir, il ne va rien faire contre ça, parce que ça n’en vaut pas la peine.

Alors oui, c’est une tolérance aussi. Dans la pratique, un couple homosexuel n’aura pas de souci. Mais ce n’est donc pas forcément pour les raisons que l’on croit. Ce n’est pas parce que le Portugais homophobe se met tout d’un coup à aimer les homosexuels. Non, il tolère, il estime que ce souci, pour lui, ne vaut pas la peine de se déranger pour ça.

La plus grosse conséquence, à part un éventuel échange verbal ? Ça serait plutôt un haussement d’épaules. Inutile se de faire des cheveux blancs pour ça, même si ça m’énerve, ce n’est finalement pas un problème si grave.

Il est là, l’état d’esprit portugais. Ça nous fait un peuple assez serein. Si on s’en fout des autres, eh bien ça permet de mieux vivre notre vie.

Quand le je-m’en-foutisme devient négatif

Le souci, c’est quand on s’en fout et que ça nous porte préjudice. Ça, en revanche, ça arrive trop souvent au Portugal. Et c’est peut-être pour ça que ce n’est pas l’un des pays les plus riches d’Europe, alors qu’il aurait pu l’être avec toutes les colonies qu’il a eues, toutes les richesses qu’il a eues du Brésil. Il ne s’est rien passé, on ne voit pas cette richesse ici autour de nous.

Le Portugais est un sujet assez passif finalement, face aux agressions extérieures, face aux problèmes de la vie. Nous sommes trop fatalistes. Si jamais nous avons un souci, on se dit qu’on n’y peut rien, que c’est comme ça, « c’est la vie ». Et pour quelque chose qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne contrôle pas, il faut « s’en foutre », vu qu’il n’y a rien à faire.

Si vous voulez vivre de vieux jours au Portugal, sachez que c’est très important de lâcher prise, d’ignorer, même si cela vous porte préjudice parfois. C’est pour ça que c’est difficile d’avoir un rendez-vous à l’heure avec un Portugais, surtout un rendez-vous professionnel. Si vous voulez que quelqu’un fasse la plomberie chez vous à une heure fixe, il se peut qu’il arrive en retard, « parce qu’on s’en fout ». Le client peut bien attendre une demi-heure.

Le « je-m’en-foutisme » n’est jamais bon pour personne, ça ne fait pas progresser. Il faut toujours se préoccuper un petit peu des choses pour qu’on puisse faire avancer les choses.

Moi d’abord ! Les Portugais sont individualistes

Une autre facette de la culture portugaise, qui n’est pas forcément très positive de mon point de vue, c’est l’individualisme portugais. Un individualisme qui pourrait se rapprocher de l’égoïsme. C’est d’abord moi, ma gueule, ensuite celle de ma famille très proche, et après mes relations, et après, plus tard peut-être, les autres.

Égoïsme, avec une variante : les autres sont des ennemis, ce ne sont pas nos amis. On pourrait même leur faire des crasses ! La grande solidarité collective entre Portugais n’existe pas vraiment.

Curieux, lorsque l’on sait que le Portugais est toujours disponible pour aider, même un inconnu… tant que ça reste ponctuel.

Moralité, si c’est les autres, je m’en fous. Ça ne me concerne pas, je ne vais pas l’aider, mais je ne vais pas non plus me mêler de sa vie. Je m’en fous. Le Portugais se dit : « ça ne me concerne pas, tant pis ». Il ne se mêle pas vraiment des affaires d’autrui, sauf pour médire dans son dos. Pour ça, on est champions !

Attention, quand je dis « les Portugais », je m’inclus aussi.

Bien sûr qu’il y a plein de Portugais qui mettent l’intérêt collectif au-dessus de leur individualité. Des gens qui se sacrifient pour leur village, leur pays. Mais soyons francs : nous sommes très loin des Japonais. Les Portugais sont individualistes, au premier degré, malgré quelques exceptions que mes amis lecteurs ont sûrement en tête.

Les vaincus de la vie

Il n’y a pas de plus bel exemple de mes propos que le groupe d’intellectuels portugais de la fin du XIXe siècle, les Vaincus de la Vie comme ils se faisaient appeler. Bercés par les illusions de leur jeunesse dans les années 1870, la réalité, l’inaction les ont vite rattrapés. Ils furent vaincus par la vie.

Si même l’élite intellectuelle du pays n’arrive pas à faire bouger les choses, « à quoi bon » !

Ce sont ces vaincus que j’ai choisi en illustration, avec, entre autres, Ramalho Ortigão au centre.

Vencidos da Vida
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Je me reconnais dans beaucoup de choses de ce que j’écris… malheureusement ! Mais à bien y penser, c’est quelque chose qui me donne beaucoup de tranquillité d’esprit. Je m’en fous, je m’en fiche, tant pis. Ça nous tranquillise. Je m’occupe de moi-même avant tout, puis de mes proches.

Les voisins du village d’à côté ? A l’époque de mon grand-père, les garçons s’amusaient à jeter des cailloux sur les voisins qui passaient chez eux, pour « protéger les filles de leur village des griffes de ces méchants étrangers ».

Ambiance.

Aide-toi, et le ciel t’aidera

Il est là, l’était d’esprit portugais. Ne rien attendre des autres a été un des facteurs majeurs qui ont provoqué l’émigration de masse du pays.

Je n’attends rien des autres, je m’en vais, je m’occupe de moi-même.

« Tant pis »

Voici une expression qui va comme un gant aux Portugais. Une expression de résignation face à l’adversité. On entend assez souvent une expression encore plus caractéristique : « já passou », en français, « c’est déjà passé ».

Le problème est derrière nous, nous pouvons l’ignorer, ce n’est pas (ou plus) grave. Il s’agit d’un corollaire du « safoda ».

Nous avons plusieurs expressions portugaises qui nous démontre la mentalité du pays, entre les « não faz mal » (ça ne fait pas mal, ce n’est pas grave), « que se lixe » et autres « esquece isso » (oublie ça). Vous en avez sûrement déjà entendu dans la bouche d’un Portugais.

Elles font toutes partie du même univers linguistique portugais, de la même culture où on laisse se passer, on laisse filer les choses. Ce n’est pas grave, tant pis. Ça ne vaut pas le coup de s’énerver pour ça.

Humilité et passivité

Les Portugais sont calmes et pacifiques, parce qu’ils sont passifs. Une mentalité contraire à ce qu’ils étaient par le passé, lorsque les Portugais sont partis aux quatre coins du monde.

Le Portugal de Salazar trouvait que les Portugais étaient humbles et que c’était une qualité.

Cette humilité-là a peut-être été un peu mal comprise. C’est une vraie humilité, qui est toujours là même après la dictature, et qui provoque aussi un peu de ce « je-m’en-foutisme » général. On a beau être énervé, on respecte nos élites, on respecte nos leaders, parce qu’on se dit qu’on n’est pas mieux qu’eux. Donc, on s’énerve parce qu’ils sont corrompus, parce qu’ils sont pourris, mais comment fera-t-on un meilleur travail qu’eux ? C’est là qu’intervient notre humilité.

On se dit : tant pis.


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