Si tout va mal au Portugal, c’est la faute des « puissants ». Politiques en tête, patrons ensuite, ou vice-versa. Cette vision simpliste a bien sûr un fond de vérité, même si je trouve qu’on n’est pas si « mal » au Portugal…
Le vilain patron
Je pose le décor : un simple employé demande à son patron une augmentation. Plus de 15 ans d’entreprise, un bosseur, habitué aux longues heures supplémentaires. Nous sommes dans le bâtiment, c’est un métier difficile.
Sommaire
L’augmentation demandée est modeste.
La réponse du patron est sans appel : « le contexte actuel blah blah blah ne me permet pas bleh bleh bleh de t’augmenter ». Le patron venait de s’acheter une Porsche flambant neuve.
L’employé, dégoutté, pouvait soit :
- Se taire et continuer à bosser pour un salaire de misère
- Démissionner et partir à l’étranger, là où les salaires sont meilleurs
- Devenir à son tour un patron et exploiter à son tour des employés
Il a donc choisi la troisième option, devenir patron à son tour. Très bon choix.
Est-ce que ce portrait du patron Portugais vous est familier ? Moi en tout cas, oui.
Mais d’où vient une telle arrogance patronale, et de manière plus générale, de la « hiérarchie » portugaise ?
Elites portugaises défaillantes
Les élites portugaises sont rétrogrades, peu cultivées, ou même carrément ignorantes. Ce constat, ce n’est pas moi qui le fais, mais l’intellectuel Ramalho Ortigão à la fin du XIXe siècle. Nous pourrions objecter que ce n’est pas tout à fait vrai, que nous avons des hommes et des femmes d’exception, à commencer par Ramalho Ortigão lui-même.
Certes. Mais pour un Ortigão, combien d’incompétents ? Si le pays est comme il est, ce n’est jamais la faute du « petit peuple », qui contrôle à peine son destin, mais bien de la faute de ceux qui les dirigent.
« Ah mais les Portugais n’ont qu’à faire une Révolution et changer de dirigeants ».
Déjà tenté. Avec la Révolution Libérale en 1820 et le début de la monarchie constitutionnelle. Puis avec l’avènement de la République en 1910. Puis encore, avec le régime de Salazar, jusqu’à la démocratie portugaise en 1974.
Rien ne semble avoir fonctionné, le Portugal est toujours à la traîne en Europe. Parce qu’on aura beau changer le pouvoir, si les intellectuels, les élites, ne sont pas tournés vers l’avenir, le pays stagne.
Il est difficile d’expliquer cet élitisme malsain, pédant et dédaigneux, qui n’a de l’autre qu’une vision étriquée. Une élite qui trouve que ce qui vient de l’étranger est forcément meilleur, une élite qui ne valorise pas les Portugais.
Ils n’ont rien de patriotes, et sont les premiers à optimiser leurs revenus en s’exilant fiscalement, à acheter des produits luxueux à l’étranger et à cracher sur le « peuple ».
Ce sont, en deux mots, les « Senhores Doutores ».
Les mêmes qui ont laissé mourir notre patrimoine, qui ont défiguré Porto ou Lisbonne et qui maintenant se plaignent que des « touristes » restaurent ce qu’ils n’ont pas été capables de valoriser.
Sous-valorisation du savoir-faire portugais
A chaque fois que le Portugal s’est refermé sur lui-même, l’économie s’est dégradée. Nous sommes un petit pays, mais ouvert aux autres, avec une propension absolue pour l’échange. Mais il faut dire, en toute vérité, que les échanges sont inégaux. Nous donnons certainement plus que ce que nous recevons.
Comment ?
En émigrant. Massivement. Autrefois, notre jeunesse laborieuse, aujourd’hui nos cerveaux. Notre pays, malgré une volonté parfois ferme des politiciens de faire bouger les choses, continue de former des professionnels qui iront enrichir d’autres pays.
Pourquoi ? Parce que nos patrons ne payent pas les salaires qu’ils devraient.
Ils invoquent le fait que notre marché national ne permet pas de le faire. Parce que les clients n’achèteraient jamais leurs produits « plus chers » provoqués par l’augmentation des salaires.
La productivité portugaise ne permet pas d’augmentations.
Dans les grosses lignes, les patrons nous disent qu’ils refusent de payer un employé plus cher, s’ils ne produisent pas autant qu’un allemand.
Mais ! Si on me paie plus généreusement, je suis beaucoup plus motivé pour « produire plus ». C’est pour ça que le même travailleur portugais donne le possible et l’impossible sur un chantier en France. Est-il vraiment très différent en France par rapport au travail qu’il fournissait au Portugal ?
Et ceci n’est pas limité aux emplois peu qualifiés. C’est même pire dans des emplois « à diplôme ». Un ingénieur peut gagner jusqu’à quatre fois moins à Porto qu’à Paris. Qu’est-ce qui justifie un tel écart de prix ?
Au Portugal, « on ne sait pas faire »
C’est ce qu’on entend, très souvent, sur de nombreux sujets « industriels ». Les Allemands savent mieux faire de voitures, les Italiens du Luxe ou les Luxembourgeois de l’optimisation fiscale.
C’est peut-être vrai. Parce que plutôt que d’apprendre de l’autre, pour ensuite faire à notre façon et même améliorer, on achète bêtement à l’autre. C’est ce que disait déjà notre intellectuel du XIXe siècle. Aucune vision sur le long terme, juste du profit à court terme. On préfère acheter « allemand » plutôt que national, par exemple !
Je force un peu le trait, vous le voyez bien. Nous avons des industries d’excellence, à commencer par les chaussures par exemple ! Notre mal, c’est peut-être celui de vouloir nous comparer à des pays bien plus grands que nous. Le Portugal s’est toujours vu « grand », par son histoire, mais économiquement, nous n’avons que 10 millions d’habitants. Si on veut se comparer à un autre pays, il faut le faire avec la Grèce, l’Irlande ou les Pays-Bas.
Pour « savoir-faire », il faut investir massivement dans les formations, tout le monde le sait. Mais il faut qu’à l’issue de ces formations, il y ait du travail ! Profiter de ce petit avantage ridicule des « bas salaires » pour attirer les entreprises au Portugal, voilà ce que nous n’arrivons pas à faire. Les plus grosses entreprises qui s’établissent au Portugal le font pour délocaliser les professions peu qualifiées.
Les Patrons étrangers au Portugal sont ici pour les bas salaires.
Respect néfaste de la hiérarchie
« Reste à ta place ».
Je vous en avais parlé dans mon article sur le « contrôle social au Portugal ». Il ne fait pas bon de sortir du lot au Portugal. C’est sans doute pour ça que le pays est si tranquille. Peu de grèves, peu de manifestations, on accepte son sort, ou on émigre !
Mais cette tranquillité est néfaste. Si tout le monde respecte le Status Quo, comment faire avancer les choses ?
De plus, ce « respect » a été inculqué aux Portugais tout au long des siècles par une église catholique omniprésente, des élites locales transformées en oligarchies et une bourgeoisie centrée sur elle-même.
On baisse les yeux pour parler à un « supérieur », que ce soit le curé, le riche ou… le diplômé.
Pour faire simple, je me souviens de l’immense respect que ma grand-mère vouait à un simple ingénieur ou médecin. On aurait presque dit le Président de la République. C’est une conséquence directe de l’ignorance dans laquelle baignait une bonne partie de la population portugaise autrefois, ma grand-mère étant analphabète.
Un espoir d’amélioration
Je viens de dresser un tableau très noir du Portugal. J’ai sans doute exagéré. Nous avons du mal à nous sortir de ce carcan intellectuel, emprisonnés également dans des crises sans fin qui nous volent nos forces vives.
Mais de plus en plus d’étrangers voient dans le Portugal des qualités que les Portugais ignorent eux-mêmes. Il faut dire que le pays change. Grâce à une politique volontariste d’éducation, le Portugal est aujourd’hui un pays dans la moyenne européenne. Doués pour l’anglais et les maths, le pays adopte des caractéristiques lui permettant de s’internationaliser. Ce n’est pas pour rien si le « Web Summit » est maintenant à Lisbonne plutôt qu’à Dublin !
De même, des entreprises à haute valeur ajoutée voient le jour, grâce aux compétences purement portugaises, développées au sein des universités du pays. Nos jeunes entrepreneurs commencent à penser différemment de leurs aînés, et ne sont plus dans une logique d’exploitation des petits salariés, mais plutôt dans la « conquête du monde », grâce à leur savoir-faire !
Ce n’est plus qu’une question de temps pour que le Portugal puisse enfin décoller et prendre sa juste place au milieu des autres pays européens. Nous allons enfin pouvoir reprendre le projet du Marquês de Pombal, c’est dire si ça date!
Il ne reste à mon sens plus qu’un seul véritable problème à résoudre de toute urgence : le décrochage scolaire des lycéens. Nous ne pouvons pas avoir un pays de « doutores », mais même un ouvrier a tout intérêt à terminer le lycée : il pourra plus facilement s’adapter aux réalités futures de sa profession !
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