Mme van Dunem est une personne compétente, fine connaissance des méandres de la justice portugaise. Titulaire d'un ministère régalien, sa nomination à ce poste si prestigieux n'a provoqué aucune émotion particulière. Pourtant, elle est noire.
Née en Angola portugaise
Francisca est née à Luanda en 1955, dans ce qui était alors le Portugal d’outre-mer. L’Angola était, pour Salazar, un autre territoire du Portugal, comme l’Alentejo ou le Minho.
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De fait, c’était une colonie. La représentativité des africains au gouvernement salazariste était proche du néant. Pas de députés, encore moins de ministres. Peut-être que si au lieu de belles paroles, le Portugal d’alors avait été un véritable fer de lance de l’égalité, nous aurions pu avoir un idéal d’union politique entre lusophones.
Bref. Toujours est-il que les angolais « de souche » ont eu de lourds ressentiments envers les anciens colons à la libération, au cours des années 1974 et 1975. D’un seul coup, le petit Portugal allait recevoir massivement ses « retornados », des personnes revenues d’Afrique.
Etudes au Portugal
En ces années perturbées, les étudiants angolais du Portugal avaient du mal à cerner le futur de leur pays d’origine. Francisca était venue à Lisbonne en 1973 pour faire ses études de Droit, comme tant d’autres angolais issus de bonnes familles. Avec l’indépendance en 1975, elle décide de retourner en Afrique près de sa famille, et mettre ses jeunes compétences au service de l’Angola.
Ce retour ne durera qu’une année. Il fallait poursuivre ses études, et l’Angola d’alors ne permettait pas les mêmes opportunités étudiantes que le Portugal. Revenue un an plus tard à Lisbonne, elle ne quittera plus le pays de Camões.
Disparition de son frère
Le grand frère de Francisca, José van Dunem, a eu le malheur d’être un opposant politique du nouveau pouvoir mis en place à Luanda. Pour lui, le gouvernement communiste n’était pas assez orthodoxe, et préférait suivre le marxiste-léniniste Nito Alves, .
Après leur tentative de coup d’Etat ratée de 1977, José et son épouse Sita Valles furent assassinés, laissant derrière eux un bébé orphelin. S’en suivirent des purges, avec des milliers de morts et de disparus. Tout ceux qui pouvaient avoir été des sympathisants de van Dunem étaient en danger. Francisca ne pouvait plus revenir en sécurité dans son pays natal.
Elle élèvera son neveu, tout juste né et déjà orphelin, comme si c’était son fils.
Les van Dunem, « noblesse » angolaise
Le patronyme de la ministre de la Justice trahi les origines néerlandaises de sa famille. Cette origine pourrait surprendre, tant les Pays-Bas peuvent sembler éloignés de l’Angola. Il n’en est pourtant rien.
Au XVIIe siècle, la guerre entre le Portugal et les Pays-Bas fait rage. Il s’agit pour les Pays-Bas de se constituer un empire colonial aux dépends du portugais. Ils vont ainsi tenter de prendre les positions portugaises au Brésil, en Afrique et en Asie.
Le Portugal, face aux Holandais, réussi tant bien que mal à conserver ses principales colonies, l’Angola et le Brésil, mais sera perdant en Extrême-Orient.
De cette période, le Brésil et l’Angola en gardent quelques souvenirs. Il est fréquent au Brésil d’avoir des prénoms inspirés de ces anciens envahisseurs, à commencer par ceux finissant en « son ».
En Angola, certains néerlandais s’y sont définitivement installés pendant la courte occupation du pays, entre 1641 et 1648. Le premier des van Dunem serait ainsi peut-être un hollandais de cette époque, marié à une angolaise. Toujours est-il qu’aujourd’hui, les van Dunem sont une famille prestigieuse d’Angola.
Première femme noire ministre de la Justice au Portugal
Sa nomination en tant que ministre par Antonio Costa était la suite logique de sa longue et brillante carrière de magistrate. On la pressentait Procureur de la République, ou juge du Tribunal Suprême.
Il n’empêche, ce fut une surprise. Elle n’était pas membre du Parti Socialiste, et n’avait jamais fait de combat politique. Parce que malgré son CV, ses compétences, elle n’en est pas moins une femme, et noire. Mais cette surprise fut vite balayée par ses compétences. Il était évident que c’était Francisca van Dunem la personne idéale pour ce ministère.
Racisme au Portugal ?
Le peu de cas finalement fait par les médias portugais sur cette nomination démontre l’état d’esprit portugais. Les personnes qui œuvrent pour le bien commun, compétentes, sont respectées.
Oui, bien sûr, il existe du racisme au Portugal. Mais fort heureusement, il n’a pas d’expression, ni médiatique, ni politique. Mme Dunem n’est même pas un sujet de conversation, les portugais préférant critiquer directement le premier ministre socialiste lorsqu’il s’agit de dire que tout va mal dans le pays.
On se souvient tous du ramdam de la nomination de Rachida Dati en tant que Garde des Sceaux en France. Encore aujourd’hui, on se demande si le choix avait été fait parce que Mme Dati était la personne la plus compétente pour le poste, ou bien parce qu’il fallait un « arabe utile » au gouvernement…
Pour la ministre portugaise, il ne faut pas faire semblant que le racisme au Portugal n’existe pas. Elle est par exemple favorable à un recensement prenant en compte l’ethnie. Il s’agit, selon elle, du seul moyen de mesurer efficacement les difficultés que chaque type de population peut rencontrer, pour ainsi y apporter une solution adaptée.
Elle ajoute néanmoins qu’elle ne fut jamais victime personnellement de racisme. Elle n’a jamais senti qu’elle avait été empêchée de progresser professionnellement parce qu’elle était noire. Mais elle a également conscience qu’étant issue d’une « bonne famille », elle était relativement protégée.
Ce ne serait pas le cas pour un portugais d’origine africaine de la banlieue de Lisbonne.
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