Certains voudraient que l'on ait honte de notre passé. Dans leur bouche, un pays qui était esclavagiste, profiteur et meurtrier. C'est dans ce contexte de cancel culture, où il faudrait effacer cette honte, que l'on dénigre les monuments du passé. Je ne suis pas d'accord.
C’est en été 2021 qu’une étudiante française de passage à Lisbonne choqua le Portugal. Un des monuments « chéris » des Portugais, le Padrão dos Descobrimentos à Lisbonne, avait été vandalisé. Ce monument à la gloire des Grandes Découvertes Portugaises se retrouvait affublé d’un énorme graffiti accusateur, de la main de l’étudiante.
Sommaire
Ce fait-divers fut un révélateur de la société portugaise, toujours tiraillée entre le souvenir glorieux de son passé et son présent beaucoup plus modeste.
Un passé que l’on voudrait honteux
Difficile de concilier, dans l’esprit portugais, ce qui est encore aujourd’hui vu comme étant l’Âge d’or du Portugal avec sa partie sombre. S’il est vrai que le Portugal traversa les mers, et, comme le dit le poète Camões, « deu novos mundos ao mundo » (il a donné de nouveaux mondes au monde), il a également été un marchand d’esclaves impitoyable, un farouche combattant de l’Islam et un profiteur des richesses d’autrui.
C’est d’ailleurs le sens du message laissé sur le monument lisboète par la jeune française, écrit dans un anglais approximatif. Le monument représente, pour elle, ce qu’il y a de plus sombre dans le passé occidental.
L’épopée portugaise marque ainsi le début de l’horreur, pour de l’argent.
Au passage : la française s’est enfui en France, et n’a jamais été inquiétée. Elle est pourtant recherchée au Portugal pour vandalisme de patrimoine. Le nettoyage du monument a coûté plus de 2000 euros. Sur son compte Instagram, effacé depuis, la jeune femme semble se vanter de son méfait, prémédité.
Comme souvent avec les revendications partisanes, le prisme historique choisi est limité, n’allant que dans le sens désiré par les activistes. Il s’agit d’utiliser notre histoire, notre passé, afin de servir une cause actuelle.
C’est faire fausse route.
Je n’ai pas honte du passé de mes ancêtres
Mais je n’en suis pas fier non plus. Le passé, c’est justement ça, le passé. Devons-nous avoir honte, ou être fier, de ce que nos parents ont accompli?
La fierté, et la honte, ce sont des sentiments personnels, qui doivent correspondre à quelque chose que j’ai, moi, fait. Je ne peux pas me sentir fier de ce que je n’ai pas fait de mes mains. Je peux en être heureux, ce qui est une grande nuance. En quoi je me sentirais fier d’un passé auquel je n’ai en rien contribué?
N’est-ce pas là de l’appropriation mal placée de la gloire d’autrui?
Vous savez, comme ceux qui s’approprient de votre travail et en récoltent les lauriers à votre place.
Cette réflexion est tout aussi valable pour les faits négatifs. Nous n’avons pas à payer pour notre passé. Ni individuellement, ni collectivement.
La Cancel Culture, un danger pour le patrimoine
Cette culture de « l’annulation », directement importée des Etats-Unis veut effacer tout ce qui ne serait pas politiquement correct. Si un grand homme du passé, par ses actes, aurait également commis des choses répréhensibles pour nos yeux d’aujourd’hui, il devrait être effacé de notre mémoire.
C’est ainsi qu’on en vient à retirer de l’espace public des statues, à dégrader des monuments, sans chercher à contextualiser un tant soit peu le passé « fautif ». Cette « damnatio memoriae » des temps modernes, où l’on condamne à l’oubli des personnages pourtant importants de l’histoire est dangereuse, voire néfaste.
Damnatio memoriae : c’est une ancienne coutume romaine, où l’on effaçait littéralement toutes les références à un personnage public décédé (et condamné) des archives historiques.
Néfaste, parce qu’il détruit une part importante du patrimoine, bâti avec les valeurs du passé. C’est le même principe qui a mené aux autodafés et à la censure, où tant de livres furent brûlés parce qu’ils ne correspondaient plus à la norme imposée par l’Etat ou la religion.
Cet effacement de l’espace public et de notre mémoire est dangereux. Cacher un évènement historique, heureux ou malheureux, est la principale porte d’entrée au recommencement. Recommencement des erreurs passées.
C’est le principe même de l’Histoire, se souvenir pour apprendre de nos erreurs ou s’inspirer de nos réussites.
Les monuments ne glorifient pas l’esclavage
Je n’irais pas justifier l’esclavagisme portugais en disant que d’autres le pratiquaient également. Les Portugais l’ont pratiqué pratiquement avec des méthodes industrielles, s’accaparant le monopole du commerce des esclaves en Atlantique à partir du XVIe siècle.
Ceci appartient au passé.
Ce que les monuments glorifient, c’est le fait d’avoir eu pour ancêtres des personnes intrépides, allant jusqu’au bout de leurs idées. Un idéal fait d’argent, bien sûr, comme l’accuse la jeune étudiante française, mais aussi de religion.
Dans chaque bateau embarquaient également des religieux, convaincus des bienfaits de prêcher la bonne parole aux quatre coins du monde. Une bonne parole qui sonnait différemment aux oreilles asiatiques, africaines ou américaines.
Faut-il en avoir honte? Aux yeux d’un Chrétien d’aujourd’hui, assurément, non.
Les constructions érigées par ceux qui nous ont précédé sur cette Terre doivent être préservés. Un monument, c’est, comme l’étymologie nous l’indique, fait pour se souvenir, se « remémorer ». Il peut être utilisé pour se souvenir d’un glorieux passé, comme le souhaitaient nos ancêtres, mais également d’un passé funeste.
Une solution modérée : contextualiser
Il suffit de le contextualiser. Parfois, un simple changement de nom suffit !
L’avenue Marechal Gomes da Costa à Porto a été nommée ainsi en l’honneur de celui qui a mis fin à la première République portugaise, inaugurant par la même la dictature militaire. La démocratie d’Avril n’avait pas jugé bon de renommer cette avenue. Au bout de cette même voie se trouve la Place de l’Empire, à la gloire de l’ancien empire (colonial) portugais. Sur cette place, un monument à la gloire de l’effort colonisateur portugais.
Aucun des démocrates républicains n’a jugé bon de renommer toutes ces voies. C’est le passé. Je ne serais pourtant pas contre un renommage de l’avenue. Si on renomme le monument à la gloire du colonialisme portugais en « Monument de la honte colonialiste portugaise », la « pédagogie » de la Cancel Culture serait respectée (mais pas l’indépendance politique).
C’est un jeu dangereux, la Cancel Culture. Où faut-il s’arrêter? Qui détient la Vérité? Qui décide ce qui est acceptable ou pas?
Cette Cancel Culture, gardienne du politiquement correct, est encore plus totalitaire que la pire des dictatures. Nous ne pouvons plus rien dire, combien même nous sommes également antiracistes ! Impossible d’argumenter. Pire : la Cancel Culture dessert même les causes qu’elle prétend défendre, en polarisant inutilement la société civile.
Si un jour nous renommons l’avenue, c’est parce que nous avons trouvé quelqu’un de plus digne, de plus méritante de donner son nom à cette avenue, du moins à nos yeux d’aujourd’hui. Aucun mal n’aura été fait au patrimoine, et nous conserverons toujours dans la mémoire son ancien nom.
Soutenir le Portugal en français
Aidez-nous à faire connaître le Portugal, en français !
Nous ne voulons pas faire payer pour accéder aux contenus. Le Portugal en français n’aurait alors plus de raison d’exister !
Le Portugal en français est un site gratuit, et il le restera, grâce à vous !