Certains endroits impriment en nous un sentiment indéfini, un mélange de bien-être et de nostalgie. Peut-être est-ce du romantisme ? De la poésie ?
Quoiqu’il en soit, je compte sur les doigts d’une main les lieux qui m’ont tant inspiré. Tout à Buçaco est magique, tant le lieu est unique. Le choix royal d’y implanter un palais n’est pas le fruit du hasard…
Sommaire
Serra do Buçaco, une montagne réputée pour ses eaux
Buçaco, ou Bussaco selon l’ancienne orthographe, est un de ces lieux chargés d’Histoire et de légendes, que l’on ne rencontre que très rarement. Les récits qui lui sont associés sont complexes et imbriqués, étonnamment denses pour une si petite localité. Nous n’oublions pas que Buçaco n’est qu’un lieu-dit de la commune de Luso, comptant en tout et pour tout 2500 âmes…
L’aura mystique du lieu semble avoir existé depuis toujours. Sans doute est-ce l’œuvre d’un microclimat particulier ? La « Serra do Buçaco », est une montagne haute de 549 m, baignée la plupart du temps par une brume permanente qui ne change d’épaisseur qu’au gré des saisons. Il règne ici une humidité constante, une eau que Luso apprivoise dans ses thermes et dans ses bouteilles. On vient de très loin profiter des propriétés médicinales des eaux de Luso.
L’abondance en eau et la conséquente végétation luxuriante ont donc toujours été une particularité de cette petite montagne, située à une trentaine de kilomètres de Coimbra. Dame Nature a ici joué une belle partition qui se livre à nous, bien aidée en cela au XVIIe siècle par des moines fraîchement installés dans la région.
La Forêt Relique
La flore portugaise d’aujourd’hui n’a que peu de choses en commun avec celle d’autrefois. C’est le travail des hommes qui a façonné les forêts actuelles, laissant peu de place à la spontanéité naturelle. Ceci est très vrai dans le bois de Buçaco, sauf dans un petit secteur, où l’on dit que la végétation correspondrait à ce qu’elle était avant même l’arrivée de l’homme.
Cette « Forêt Relique », qui porte fort bien son nom, doit cette chance à sa localisation : au point le plus haut, le plus pierreux et le plus escarpé du bois ! Nous pouvons ainsi découvrir une végétation hors du commun, à la variété inégalée et épargnée par l’intervention humaine.
Selon le petit écriteau informatif que j’ai pu y lire pendant ma randonnée découverte, on nous indique que la flore, étant native et non exotique comme à d’autres endroits du Buçaco, résiste mieux aux intempéries parfois très violentes que l’on peut subir dans la région. On y trouve ainsi des plantes rares au Portugal, et pourtant endémiques : chêne pédonculé ou chêne tauzin, lauriers et arbousiers ou encore des filaires à large feuille, parmi tant d’autres espèces végétales. On l’aura compris, la biodiversité de la Forêt Relique est un trésor à préserver.
Buçaco, terre de légendes
Personne ne connaît véritablement l’origine de Buçaco. Nous pouvons lire par exemple qu’autrefois, la montagne se nommerait « Serra da Alcoba », ce que la montagne voisine du Caramulo affirme également. De là à dire que les deux montagnes étaient connues par le même nom est un pas que je ne franchirais pas. En revanche, « Alcoba » voudrait dire en arabe « coupole », nous laissant croire qu’il s’agissait plutôt d’un terme générique.
Quoiqu’il en soit, les Frères Carmes déchaux ont essayé de connaître l’origine de leur nouvelle demeure, et ont réuni quelques légendes qui se racontaient en ces temps-là. Toutes sont fantaisistes, allant de l’esclave noir fugitif à l’ermite en passant par un ancien couvent de Saint Benoit…
Une des légendes nous plonge dans un Portugal oublié, celui des esclaves Noirs apportés par le commerce triangulaire. En ces temps reculés, on nommait l’esclave noir de « Boçal ». Ainsi, un esclave fugitif aurait choisi cet endroit pour y habiter, sortant de sa grotte la nuit pour voler du bétail ou attaquer des voyageurs. Le lieu aurait ainsi été baptisé de « cova do Boçal », caverne du Boçal, qui se serait transformé avec le temps en Buçaco.
Ceci n’a bien sûr aucune véracité, le nom de « Buçaco » apparaissant dans des documents du Xe siècle, bien avant l’arrivée du moindre esclave noir dans ce qui n’était pas encore le Portugal. Nous ne saurons ainsi probablement jamais l’origine du mot, laissant libre cours à notre imagination…
Les moines déchaussés, planteurs d’arbres exotiques
Issu de la réforme de l’Ordre du Carmel initiée par Thérèse d’Avila en Espagne à la fin du XVIe siècle, l’Ordre des Carmes déchaux s’implante au Portugal avec un premier couvent à Lisbonne en 1582. Cet ordre mendiant prône un idéal de pauvreté, avec une existence entièrement tournée vers Dieu.
Quand en 1612 est instituée la province portugaise de l’Ordre, les conditions sont établies pour qu’un « Désert » soit créé. Un Désert, en termes monastiques, est un vaste espace où les religieux sont en vase clos, retirés du monde. Ils peuvent ainsi se consacrer pleinement à leur religion. Pour cela, l’évêché de Coimbra, dans le centre du pays, leur cède le terrain idéal : le bois de Buçaco, à proximité du légendaire monastère de Vacariça.
Ce monastère n’existait déjà plus lorsque les frères Carmes déchaux arrivent à Buçaco. Nous n’avons que des références écrites de ce qui semblait être autrefois un très grand monastère. Disparu à la fin du Moyen Âge, nous n’en avons aucune trace archéologique prouvant son existence. L’aura de ce monastère disparu, qui devait pourtant être tout proche, ajoute une pincée de mystère et de mysticisme à cette région déjà si particulière…
A leur arrivée en 1628, les moines se mettent aussitôt au travail, en entourant les 90 hectares (aujourd’hui 105) leur revenant d’un mur, les séparant du monde… ou presque. Pour agrémenter leur bois, en plus des chapelles, des maisons d’ermites et du couvent absolument nécessaires, ils y planteront des essences venues des quatre coins du monde, apportant un exotisme tout particulier à ce petit coin de Portugal.
Il faut s’imaginer ce que pouvait être la vie dans un « Désert » : les hommes qui y vivaient, coupés de tout, s’isolaient volontairement, souvent seuls, en ermites. Ceux-là habitaient dans des maisons dispersées dans les bois, que nous pouvons encore observer aujourd’hui, les « eremidas », des chapelles habitées. Les moines se retrouvaient en communauté au couvent pour les messes, le réfectoire ou pour l’organisation du nécessaire travail collectif, ne serait-ce que l’entretien de cet extraordinaire Bois de Buçaco.
C’est par les religieux que l’on retrouve à Buçaco le Cèdre du Portugal… originaire d’Amérique Centrale ! Importé du Mexique dès le début de leur présence à Buçaco, le Cupressus Lusitanica fut par la suite exporté vers d’autres pays européens à partir du monastère portugais.
Le Couvent de Santa Cruz do Buçaco
Buçaco n’avait pas été le premier choix des frères Carmes déchaux comme choix d’implantation. Au départ, Sintra, à proximité de Lisbonne, avait leur préférence, mais la volonté du roi et de sa Cour de s’y implanter ont tôt fait d’empêcher les moines de s’y établir.
A Buçaco, point de roi, point de Cour, point d’agitation politique ou mondaine. Avec le recul, c’était sans doute le meilleur choix pour une vie entièrement vouée à Dieu. Cette quiétude durera deux siècles, jusqu’aux révolutions anticléricales du XIXe siècle puis de l’avènement du Romantisme…
La première pierre du couvent sera posée le 7 août 1628. La plupart des travaux seront conclus en deux ans. Le vœu de silence était la règle, les moines ne pouvant communiquer entre eux que par signes, d’un quotidien fait de jeûnes et de prières. C’était les règles extrêmement dures du « Désert », où les Carmes déchaux séjournaient pendant une année.
Les moines vont rester jusqu’en 1834, date à laquelle les ordres religieux sont abolis au Portugal, conséquence de la guerre civile portugaise et de la victoire des mouvements libéraux contre les partisans de la monarchie absolue. Il sera partiellement démoli pour laisser place au pavillon de chasse du roi D. Carlos Ier, le célèbre « Palácio Hôtel do Bussaco ».
Cruz Alta
A leur arrivée à Buçaco, les moines n’étaient pas en terrain totalement vierge. Sur un des points culminants se trouvait déjà une imposante croix, d’où l’on peut encore aujourd’hui observer toute la région jusqu’à l’Océan Atlantique par temps clair.
Cette croix originelle, faite de bois, aurait été faite selon la légende par un marin qui s’était perdu en mer. Le sommet de la montagne lui avait permis de se guider en terre ferme. Ainsi, pour remercier la Providence, il fit ériger une croix.
Avec le temps, cette croix tomba en ruine. Une nouvelle croix de bois sera érigée grâce à leur ferveur d’un local. Cette nouvelle croix sera à son tour détruite, non pas par le temps, mais par la foudre en 1645. La « Cruz Alta » actuelle, Croix Haute, date ainsi de 1648, reconstruite par le recteur de l’Université de Coimbra d’alors, afin de fêter la victoire du Portugal contre les troupes de Castille pendant la guerre de Restauration.
Via Sacra
La “Via Sacra” est un chemin de croix, élaboré en même temps que la « nouvelle » Cruz Alta. Tout d’abord constitué de plusieurs croix de bois, elles seront remplacées à la fin du XVIIe siècle par des petites chapelles, améliorées au fil des années. Composé de 20 stations au lieu des traditionnelles 14, le chemin de croix du Buçaco est long de 3 km.
Fonte Fria, la Fontaine Froide
Les améliorations de la fin du XVIIe siècle comptent de nombreuses fontaines, avec comme point d’orgue la « Fonte Fria ». Cet escalier monumental fut commandé par le Comte-Evêque de Coimbra, D. João de Mello, et tire son nom simplement de la froideur de ses eaux.
Les coquillages, les entrelacs sont des choix décoratifs datant de la fin du XIXe siècle. Ils nous remémorent les Frères Carmes déchaux, à une période où il n’y avait plus de moine depuis longtemps… L’eau de la fontaine se termine sur un petit lac, point d’entrée de la Valée des Fougères, « Vale dos Fetos », où s’exprime dans toute sa plénitude l’exubérance de la végétation de Buçaco, entre marches d’escaliers, lacs et ruisseaux.
La bataille de Buçaco, victoire contre les troupes de Napoléon
Lors des guerres péninsulaires, opposant les troupes napoléoniennes de Massena aux portugais et leurs alliés anglais, les français furent mis à rude épreuve face à la farouche résistance qu’ils y trouvèrent. Une des plus belles victoires des alliés anglais et portugais eut lieu à Buçaco !
Commandés par Arthur Wellesley, le futur Duc de Wellington, l’armée anglo-portugaise mis à mal l’avancée des français, qui ne parvinrent pas jusqu’à Lisbonne comme ils l’avaient initialement prévu. On se souvient que c’est ce même Wellington qui battit définitivement l’Empereur à Waterloo, mettant un point final aux ambitions françaises en Europe, et avec elles certains idéaux de la Révolution…
Musée militaire de Buçaco
Pour commémorer le centenaire de la victoire anglo-portugaise à Buçaco, le musée militaire ouvrit ses portes le 27 septembre 1910, inauguré par le descendant du Duc de Wellington et le dernier roi du Portugal, D. Manuel II. Les commémorations de la bataille seront d’ailleurs l’un des tous derniers actes officiels du roi, avant la proclamation de la République portugaise le 5 octobre 1910 et conséquente destitution du roi.
L’obélisque de Buçaco
Ce monument fut érigé en 1873, pour commémorer la victoire de la bataille de Buçaco. A son sommet, une étoile de cristal, malheureusement abimée par la foudre. C’est à cet endroit que chaque année, la bataille de Buçaco est reconstituée par des enthousiastes férus d’Histoire.
Buçaco est peut-être l’endroit le plus romantique du Portugal. A un tel point que le roi du Portugal, Dom Carlos Ier, l’a choisi à la fin du XIXe siècle pour y construire son palais, en plein Romantisme.
Buçaco avait été mis à rude épreuve lorsque le cyclone Gong détruisit 40% du parc en janvier 2013. Les tempêtes sont ainsi récurrentes, et sans un travail bénévole de l’association des amis de Buçaco, aujourd’hui il ne resterait plus grand-chose à voir de cette splendeur.
Aujourd’hui, la Forêt de Buçaco sort peu à peu de l’oubli, avec l’essor du tourisme et la valorisation du patrimoine. Les anciennes maisons de gardiens sont ainsi réutilisées en tant que maison d’hôtes…
Peut-être que sa candidature en tant que patrimoine mondial de l’Humanité à l’UNESCO viendra un peu changer les choses…
Sources
- “Guia histórico do viajante no Bussaco”, Augusto Simões Mendes de Castro
- “No Bussaco, história, paysagem, descripções”, Cardozo Gonçalves
- Fundação Mata do Bussaco
- Buçaco: um deserto com portas e água por todo o lado
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