Deux choses ont provoqué la dégradation du patrimoine au Portugal, malheureusement toujours d’actualité. Les dégâts provoqués par la Nature, le temps qui passe ou les catastrophes naturelles d’un côté, et les dégâts provoqués par l’Homme.
Inintérêt
La prise de conscience de la part de l’opinion publique sur l’importance du patrimoine a été longue. Également longue a été l’élaboration de lois qui traduisent cette nouvelle prise de conscience. La vision qui perdura jusqu’au XVIIIe siècle a été essentiellement utilitariste. On protégeait ce qui était utile, sans grandes considérations artistiques ou historiques. Que ce fut un patrimoine militaire ou religieux, seul l’usage qu’on en faisait comptait. Par conséquent, on n’hésitait pas à transformer ou même détruire ce qui n’était plus utile, ou pire, ce qu’on ne considérait plus comme étant « beau ».
Sommaire
Les innombrables “restaurations” d’anciens monuments ne prenaient pratiquement pas en considération l’héritage du passé, n’hésitant pas à détruire ou cacher des éléments d’autrefois et à les remplacer par quelque chose plus au goût contemporain. Pour les monuments oubliés, sans usage, c’est souvent qu’ils furent purement et simplement démolis, leurs pierres étant par la suite réemployées dans d’autres constructions.
Ce triste panorama continua tout au long du XIXe siècle, au gré des dégradations, souvent idéologiques. L’interdiction des ordres religieux en 1834 fut à ce propos absolument désastreuse pour la conservation des monuments religieux. Il fut nécessaire, pour que l’on puisse enfin changer les mentalités, toute l’énergie d’une poignée de personnes.
Alexandre Herculano, auteur et intellectuel du XIXe siècle dénonça avec force et véhémence ce qu’il appela de « vandalisme de marteau ». Ramalho Ortigão, contemporain de Herculano, suit ses traces en publiant à la fin du XIXe siècle « Le Culte de l’Art au Portugal », où il dénonce l’incurie des gouvernements successifs. Pour ces intellectuels, le plus grand mal était l’ignorance.
Que protéger ?
On ne peut protéger efficacement le patrimoine que lorsque on sait ce que c’est exactement. Qu’est-ce qui vaut le coup d’être gardé et préservé ? Avec des critères clairs, on peut élaborer une liste du patrimoine bâti portugais, pour lequel l’Etat, et les Portugais, doivent avoir une attention particulière.
Cette liste a mis des siècles à être établie, littéralement.
La prise de conscience de l’importance du patrimoine a été très longue. En 1721, avec le roi Jean V, pour la première fois une loi pour défendre les « monuments anciens » fut adoptée. Mais cette loi n’établissait pas formellement de liste de ce qui devait être protégé. Il n’y avait qu’un premier travail, daté de 1686, qui décrivait le Portugal « par ses villes, villages, forts et forteresses ». Après la mort du roi, l’inventaire est resté lettre morte. La première moitié du XIXe siècle, malgré le désastre que cette période représente pour le patrimoine, fut aussi marqué par des idées issues du Romantisme, qui idéalisaient le passé. De nouvelles idées surgirent, en accord avec les objectifs de l’ancienne loi de Jean V, la défense du patrimoine et de la mémoire des gloires passées de la Nation.
Les publications de Alexandre Herculano ont été essentielles pour pointer du doigt ce qui n’allait pas, pour montrer cet héritage que l’on maltraitait. Herculano décrivait dans la publication “o Panorama”, avec l’aide de correspondants, l’état dans lequel se trouvait les monuments portugais.
La première tentative d’établissement d’une liste globale des monuments portugais n’arrive qu’en 1858, avec Joaquim Possidónio Narcisso da Silva. Ce premier inventaire ne produisit pas d’effets. Ni l’Etat, ni les municipalités ne prirent leurs responsabilités. A partir de 1870, plusieurs commissions vont être créées par l’Etat. Ce n’est qu’en 1880 que nous aurons finalement un inventaire complet, avec des monuments divisés en 6 catégories. Encore une fois, il n’y aura toujours pas d’effets concrets en défense du patrimoine.
En 1910, enfin, les monuments historiques !
Les commissions se succédaient, toujours avec des objectifs similaires, toujours sans effets pratiques. Composées par des intérêts politiques plus que par des intérêts patrimoniaux, les résultats se faisaient attendre, malgré une pression toujours plus croissante de l’opinion publique. L’intérêt pour les monuments était, à ce moment, surtout historique et archéologique. Avec Elvino de Brito, et son travail au sein du Conseil Supérieur des Monuments Nationaux à partir de 1897, les œuvres d’intérêt artistique se voient également incluses dans l’inventaire. Ce conseil parvient enfin à une liste en 1909, qui servira de base pour la loi de 1910, de classement et de protection du patrimoine.
Malgré toute la distance qui nous sépare d’un Ramalho Ortigão, on dirait que notre siècle est confronté à la même ignorance dénoncée par l’intellectuel au XIXe siècle. L’Etat a progressé en faveur de la défense du patrimoine, malgré les difficultés économiques. Mais de nombreux présupposés idéologiques sont encore très forts. Avant de regarder leur valeur historique ou artistique, on dégrade encore aujourd’hui des monuments d’un passé pour lequel nous devrions « avoir honte », oubliant l’adéquate contextualisation.
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