Dans un pays où tant de gens portent le même nom de famille, comment se distinguer des autres ? Les Silva, les Sousa, les Pereira ou Costa sont bien trop nombreux ! Alors, pour faire la différence, on passe par les surnoms, donnés à une personne... ou à toute une famille.
Les surnoms, c’est quelque chose qui a toujours existé, que ce soit au Portugal, en Europe ou ailleurs. A une époque où il n’y avait pas de noms de famille, qu’on ne savait même pas lire ou écrire, ils étaient logiques.
Sommaire
« C’est José ». Ah, oui, mais lequel ? « Bin celui qui ouvre tout le temps sa gueule, le gueulard ».
Et hop, José, qui n’était qu’un José parmi d’autres, est devenu « le gueulard ». Et ce petit nom, parfois pas forcément sympathique, peut se transmettre à sa descendance.
« C’est Carlos ». Ah, oui, mais lequel ? « Bin, le fils de Gueulard ». « Ah, Carlos Gueulard ».
En France, et ailleurs, ces prénoms sont souvent devenus des noms de famille, lorsqu’il a fallu identifier les gens à l’état-civil. C’est une des raisons qui expliquent l’incroyable diversité des noms de famille en France !
Au Portugal, l’extraordinaire diversité des surnoms ne se retrouve pas comme en France dans les patronymes « officiels ». Il faudra aller dans le sud du Tage pour trouver une diversité plus grande de noms de famille.
Le même nom de famille pour tout le monde
J’exagère. Nous ne sommes que la moitié de la lusophonie à porter le nom de « Silva« . Oui, bien sûr, pas forcément le nom de notre père, mais comme nous pouvons porter le nom de nos quatre grands-parents, c’est facile de se retrouver avec un « Silva » quelque part dans notre nom complet.
Mais pourquoi avons-nous si peu de noms différents au Portugal ?
Une première raison est évidente : nous sommes moins nombreux. Mais cette plus petite population ne peut pas expliquer à elle seul ce manque de diversité ! On doit plutôt chercher du côté du quotidien des Portugais d’autrefois.
Ils n’avaient pas besoin de porter un nom de famille. On était Carlos, fils de José, et ça suffisait. Il n’y en avait pas 50 comme ça au village. Chacun était libre de donner le nom de famille qu’il voulait à l’état-civil, jusqu’à l’avènement de la République. Dans un pays d’analphabètes, le nom de famille était le cadet des soucis des paysans.
Le nom de famille n’est tout simplement pas quelque chose qui soit entré dans les moeurs. Si vous vous adressez à une personne en l’appelant « senhor Silva » plutôt que « senhor Carlos », ça risque d’être mal compris. On a l’impression d’un langage formel, administratif.
Vous l’aurez compris : le nom de famille, c’est quelque chose pour l’Etat.
On lui donnait si peu d’importance, qu’il était presque banal d’avoir des femmes qui ne portaient même pas de nom de famille encore à la fin du XIXe siècle. Dans certaines familles, il était même de coutume d’attribuer le nom du père aux fils, et le nom de la mère aux filles.
Les Maisons, Casas
Ce peu d’importance attribuée aux noms de famille au Portugal, vis-à-vis de la France, tient également à l’importance des « maisons », dans son sens généalogique. Ce qui est important, ce n’est pas d’être le fils de Untel ou Machin, mais d’être issu de la maison de Untel.
Rappel : en France, c’est le fils qui transmettait le nom, qui gardait l’héritage. La fille était juste bonne à marier ou à entrer dans un couvent.
Au Portugal, ça ne se passait pas comme ça. Si une fille était issue d’une maison prestigieuse et pas son futur époux, leurs enfants héritaient du nom de famille de la mère !
Si tout le monde veut faire partie de la maison la plus prestigieuse de la région, les autres noms auront tendance à disparaître. C’est ainsi que la très ancienne et noble famille – ou maison – des Silva a pu transmettre à tant de personnes son nom !
Dans le sud, où les familles et maisons prestigieuses étaient moins nombreuses, cette transmission s’effectua à bien plus petite échelle. Nos maisons familiales sont issues du Moyen Âge, du temps de la Reconquista, et ceux du sud, encore sous domination musulmane, n’avaient pas pu s’associer à une maison du nord…
Au XIXe siècle, cette appartenance à une maison n’avait plus aucun sens. Presque tout le monde avait désormais une attache « prestigieuse », qui, pour le coup, n’avait plus rien de prestigieux. Seuls quelques noms de famille, plus rares, avaient encore une certaine réputation, que la République essaiera parfois d’étouffer.
Le Portugal des surnoms
Comment s’y retrouver, alors, dans un pays qui n’accorde pas d’importance aux noms de famille, même aujourd’hui?
Grâce aux surnoms, « alcunha » en portugais. Choisi par les autres, le surnom identifie clairement celui qui le porte. Lorsqu’il est assez ancien, il peut même devenir un nom de famille « officiel », mais, soyons francs, c’est rarement arrivé. Logique, quelque part, les surnoms n’étant pas forcément quelque chose de sympa, pourquoi voudrions-nous l’officialiser?
Mieux vaut porter le nom de famille générique que l’état (ou l’église) nous a attribué il y a longtemps…
Histoire personnelle
Je vais vous donner le nom de famille de chacun de mes grands parents :
- grand-père paternel, Silva
- grand-mère paternelle, Ferreira
- grand-père maternel, Capitão
- grand-mère maternelle, Silva
Vous remarquez d’emblée que je suis deux fois Silva. Ils n’étaient pas issus de la même famille, ni du même village.
Du côté de ma mère, nul besoin de surnom, sa famille porte déjà un nom rare, issu d’un ancien surnom, plutôt valorisant. Facile à officialiser à l’état-civil !
Je suis donc, aux yeux du reste du village, connu de deux façons :
- petit-fils de Zé Capitão
- fils de Manel Furão
Lorsqu’il s’agit de savoir avec précision qui je suis, c’est bien le fils de Manel Furão qui va ressortir en premier. Mais d’où vient ce « Furão », qui veut dire « furet » en français, le petit animal mignon?
Furão
Il y a très longtemps, mon arrière-grand père, de son nom de famille Marcellino, captura un furet et l’apprivoisa. Il s’agit d’un animal très utile pour la chasse. Il en était très heureux, mais, peut-être des jaloux, l’ont du coup surnommé de « furão ». Il faut dire que la réputation de cet animal n’était pas très bonne.
Mon arrière-grand-père était roux, et avait, dit-on, un certain caractère. Le nom de « furão » lui allait comme un gant, lui qui était quelque part une personnalité du village. Ses enfants, dont ma grand-mère, se retrouvèrent affublés du même sobriquet familial.
Ce fut un tel succès que tout le monde ou presque avait oublié qu’à la base, c’était un Marcellino, nom pourtant assez rare. Mais voila, avec la République, certains associaient ce nom à la noblesse détestée, et il valait mieux ne pas trop se revendiquer Marcellino. C’était à un tel point que l’état-civil, m’a-t-on raconté, avait refusé d’enregistrer ce nom aux enfants nés après l’avènement de la République.
C’est ainsi que ma grand-mère se nomme « Ferreira », et non Marcelino. Notez la perte d’un L dans Marcellino, la simplification orthographique de 1911 étant aussi passée par là…
Pendant longtemps, ce surnom de « Furão » était presque un tabou dans la famille. Les autres villageois se moquaient de mon arrière-grand-père, mais aussi de ses enfants, de ses petits-enfants et même des arrières-petits-enfants !
Mon jeune cousin l’a d’ailleurs senti dans la peau encore au début des années 2000. Moi ? Pas trop, j’ai grandit en France. Aujourd’hui, l’ensemble de la famille assume enfin, avec fierté, ce surnom, moi le premier. Il y eu un changement d’état d’esprit, des blagues entre nous, et une valorisation au final de ce passé, qui ne reposait sur rien de honteux.
Et du coup, le surnom de « Furão » devient moins rigolo. Si plus personne ne s’énerve, ça ne sert plus à rien de le dire, n’est-ce pas ? Les moqueries ne perdurent que si on y attache de l’importance. Les enfants étant partis du village, il ne subsiste plus que notre banal « Silva » pour nous identifier auprès des autres, ailleurs…
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