António Costa
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António Costa démissionne

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C'est un coup de tonnerre qui a pris tout le monde de court, ce 7 novembre 2023. Le premier ministre António Costa démissionne. Le matin même, son cabinet avait été perquisitionné, dans le cadre de l'enquête du Ministère Public sur l'éventuelle corruption de deux de ses ministres : João Galamba et Duarte Cordeiro.


Costa, garant de la stabilité

Pendant huit ans, de 2015 à 2023, António Costa a gouverné le pays. Son gouvernement a connu la fin de la troïka d’un côté, mais a souffert du Covid et de la guerre en Ukraine. Costa n’a pas eu la tache facile, c’est le moins que l’on puisse dire !

Lors des premières législatives de 2015, le Parti Socialiste avait succédé au PSD. Le PSD, qui avait eu la charge d’implémenter les mesures impopulaires de la troïka, n’avait pas eu le beau rôle. Malgré tout, il a fallu une coalition hétéroclite de toute la gauche pour pouvoir mettre le PS au pouvoir.

C’était la fameuse « geringonça« , que nous pourrions traduire par « bidule » en français. Quelque chose faite de bric et de broc, fonctionnant on ne sait trop comment. Imaginez donc, des Socialistes pragmatiques à la Tony Blair au pouvoir, aux côtés de communistes orthodoxes !

Mais pour le Portugal, tout était mieux qu’une prolongation de la droite et, potentiellement, de la soumission au diktat de Bruxelles ou de Berlin.

Aux législatives suivantes de 2019, António Costa, fort d’un bilan perçu comme étant positif par les Portugais, obtint un meilleur score qu’en 2015, mais la nouvelle alliance avec les partis à la gauche du PS était moins fiable. Lorsque tous les autres partis votèrent contre le budget de l’état proposé par le PS pour l’année 2022, seules des élections anticipées pouvaient sortir le Portugal de l’indéfinition.

En 2022, les Portugais, visiblement satisfaits du travail d’António Costa, décidèrent de lui donner la majorité absolue. Désormais, le premier ministre avait les mains libres pour gouverner. Ce sont les Portugais qui ont désiré cette stabilité gouvernementale.

Les Affaires du Ministère des Infrastructures

En huit années de pouvoir, le gouvernement a traversé plusieurs crises, plusieurs polémiques, plusieurs scandales. À chaque fois, le garant de la stabilité, António Costa, pris la décision de la persévérance, ne changeant que rarement de ministres. Ce fut en général de bonnes décisions, sauf pour une chose.

António Costa pourrait dire : foutu ministère des infrastructures !

Le Portugal est en train de connaître une évolution rapide à tous les niveaux, porté par une authentique « Portugalmania » mondiale. Le pays est devenu presque subitement attractif aux yeux du monde entier. Il faut dire qu’une série de mesures fiscales ont été implémentées pour attirer les riches étrangers, et que, surtout, la sécurité que le pays permet fait des envies.

Dans ce contexte, avec l’arrivée de très nombreux touristes et l’augmentation exponentielle du trafic aérien, le pays devait se doter d’équipements à la hauteur. De plus, par chance ou par malheur, le lithium dont les terres portugaises regorgent, donnent des envies d’investissement à bon nombre d’entreprises, à l’Ère de la voiture électrique.

Bref, ça bouge au Portugal, et le ministère des infrastructures est au coeur de cette mutation.

Alexandra Reis, administratrice de TAP

C’est sur invitation que Alexandra Reis quitte son poste de présidente du conseil d’administration de NAV, l’entité publique en charge du contrôle aérien. Elle allait devenir Secrétaire d’État du Trésor. Elle ne restera en fonction qu’un seul mois, minée par une forte polémique.

Lorsqu’elle était encore administratrice de TAP, elle avait été aux premières loges pour restructurer la compagnie aérienne portugaise, avec de nombreuses pertes d’emploi. Pour faire économiser de l’argent à TAP, c’était nécessaire.

En 2018, c’est sur invitation qu’elle quitte son poste à la TAP pour prendre la tête de NAV, empochant au passage 500 000 euros d’indemnités pour son départ anticipé de la TAP.

Des indemnisations légales, mais sans éthique aux yeux de l’opinion publique

Comment quelqu’un qui a demandé à l’entreprise de se serrer la ceinture peut en partir de la sorte ? Éthiquement, moralement, c’était un scandale. Un scandale tel qu’il éclaboussa le ministre des infrastructures d’alors, le pourtant très à gauche Pedro Nuno Santos. Pourquoi ?

Parce qu’un de ses secrétaires d’état avait accepté l’accord d’indemnités pour Alexandra Reis et sa conséquente prise de poste. Pedro Nuno Santos décide de prendre la responsabilité politique, selon ses termes, et démissionne. Une belle démission, où son intégrité n’est pas mise en cause.

Avait-il vu le (mauvais) vent venir sur son ministère des infrastructures ?

João Galamba, le bodyboarder devenu ministre

Pour prendre la succession de Pedro Nuno Santos, João Galamba. Une figure étrange et mystérieuse. Coiffure sérieuse, costume et cravate comme il se doit pour un politicien rigoureux. Il y a pourtant quelque chose de curieux sur João Galamba.

João Galamba
João Galamba

Sa boucle d’oreille. Une boucle d’oreille qu’un surfeur de Nazaré ne renierait pas.

Et vous savez-quoi ? Ça n’a aucune importance. C’est peut-être un porte-bonheur, une amulette, un souvenir précieux.

En tout cas, ça ne lui a pas porté chance.

Lui aussi devra affronter un autre scandale, d’une ampleur bien plus conséquente encore que pour Alexandra Reis. Il présentera, lui aussi, quelques mois à peine après son arrivée, sa démission. Parce qu’un collaborateur aurait pété un câble. Vol d’ordinateur avec des données confidentielles sur la privatisation de TAP, agressions supposées entre lui et le secrétaire d’état qui aurait volé les données de TAP… une vraie série Netflix.

António Costa, toujours garant de la stabilité, refuse sa démission, et João Galamba restera en poste, jusqu’à maintenant. Marcelo Rebelo de Sousa avait pourtant fortement suggéré à António Costa d’accepter la démission de João Galamba…

Dans le cadre de l’opération « Influencer », Galamba est formellement accusé de corruption, et ne peut pas quitter le pays. Il doit également informer la Justice s’il s’éloigne plus de 5 jours de sa résidence. On dit en portugais qu’il est « arguido« , une accusation formelle impliquant des devoirs.

Opération Influencer

C’est une enquête des procureurs de la République, baptisée « Operação Influencer » qui est à l’origine de la démission d’António Costa. Les procureurs soupçonnent des proches du premier ministre d’être au coeur d’un réseau de corruption.

Il s’agissait pour l’entreprise Start Campus de simplifier son investissement de 500 millions d’euros dans la réalisation d’un énorme data center à Sines. Pour se faire, Diogo Lacerda Machado, un des meilleurs amis du premier ministre, aurait tenté d’influencer le secrétaire d’état en charge du dossier.

Plusieurs personnalités ont été mises sur écoute par le ministère public. Plusieurs personnalités ont été accusées formellement : João Galamba, mais aussi le ministre de l’environnement, Duarte Cordeiro ou le maire de Sines, Nuno Mascarenhas.

En parallèle du data center de Sines, d’autres scandales : les concessions des mines de lithium, et la production d’hydrogène vert. On parle de personnes qui ont reçu des pots de vins pour favoriser une entreprise, pour passer par dessus certains critères légaux, bref, pour aller plus vite dans la réalisation de ces méga-projets.

Nous ne savons pas encore le fin mot de l’histoire, mais, António Costa, voyant son nom impliqué dans ce tissu de scandales, a préféré démissionner. Une belle démission, si l’on peut dire.

« Ne pouvant travailler avec une aura de suspicion pesant sur un premier ministre en exercice, je dois démissionner ».

La corruption, une bonne chose ?

En attendant que tout ce beau petit monde soit jugé et éventuellement condamné, des projets de première importance pour le Portugal sont arrêtés.

Nous souffrons de sclérose administrative. Quoi de plus normal pour une entreprise, pour qui chaque jour compte, d’essayer d’aller un peu plus vite que la musique ?

Oui, la corruption, c’est mal. Mais s’il s’agit en fait de simplifier la lourdeur administrative, parce que sinon, rien n’est fait, rien n’avance ? Ceux qui ont tenté de poser un permis de construire à Porto ou Lisbonne savent bien de quoi il en retourne.

Alors, en attendant une administration efficace et rapide, le Portugais, comme depuis toujours, se débrouille.


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