Dans les années 1990, une nouvelle immigration est arrivée au Portugal. Souvent blonde aux yeux bleus, cette immigration était surprenante de par son ampleur et sa différence, présente dans tout le pays. Les Ukrainiens, accompagnés d'autres immigrés de l'Est, sont venus pour construire un pays alors en pleine mutation.
Je me souviens, lorsque quelque part à la fin des années 1990, mon oncle présentait fièrement deux nouveaux employés de son entreprise. Alexander et Igor. Il les avait embauché grâce à un ami d’ami. Tout droit venus d’Ukraine, ils ont commencé à travailler immédiatement, dans l’un des métiers les plus durs du BTP : l’isolation des toitures.
Sommaire
Une immigration économique
Remettons un peu les choses dans leur contexte. Dans les années 1990, avec la fin du bloc soviétique, les pays de l’Est sont en déroute. Une crise durable s’installe et balaye tous les secteurs d’emploi. Un chômage galopant, une adaptation difficile à l’économie de marché, et des millions de personnes qui ne savent pas comment payer les factures.
D’un autre côté, certains pays occidentaux, à faible taux de chômage et très demandeurs de main d’oeuvre bon marché. Le Portugal par exemple, avec les différents programmes de construction d’infrastructures, était un pays parfait pour les Ukrainiens désoeuvrés.
L’Expo 98, entre tant d’autres projets, était un symbole du dynamisme portugais. Un symbole vendeur aux yeux des Ukrainiens, qui voyaient un pays tourné vers l’avenir. Il n’en fallait pas plus pour que, en moins d’un an, des milliers d’Ukrainiens décident de venir. Le moindre salaire de misère au Portugal était toujours meilleur qu’un très bon salaire ukrainien !
Le Portugal, désireux d’obtenir de nouveaux travailleurs, concédait plus facilement des visas pour travailler que d’autres pays européens.
Comme dans toute immigration massive, on pouvait venir soit illégalement, où il fallait payer un passeur, soit avec un visa touristique. Beaucoup ont fait le voyage dans leur vieille voiture soviétique, traversant l’Europe pendant quatre jours.
Les chiffres officiels sont parlants. Ils n’indiquent, pour l’an 2000, que 163 ukrainiens au Portugal. Pour l’année 2002, 299 résidents au Portugal, alors que les estimations sont de 62 000 ukrainiens ! Ils étaient, au début, principalement des hommes. Aucun n’avait forcément pour but de rester au Portugal, il s’agissait surtout de faire de l’argent, le plus possible, et de l’envoyer au pays.
En 2020, ils étaient environ 30 000 à résider légalement au Portugal. A titre de comparaison, ils ne seraient que 40 000 dans toute la France (chiffres non officiels) ou 200 000 en Italie, pays de l’Union Européenne comptant le plus d’Ukrainiens.
Les immigrés ukrainiens viennent principalement des régions de l’ouest du pays, des régions rurales et défavorisées. Plus proches de l’Union Européenne, il était plus simple pour eux d’émigrer que leurs compatriotes des régions de l’est, régions fortement industrialisées.
Des Portugais compréhensifs
En lisant mon texte, on peut se rendre compte d’une chose. L’histoire des Ukrainiens ressemble comme deux gouttes d’eau à celles des immigrés Portugais. Les mêmes raisons, les mêmes passeurs, les mêmes difficultés.
Peut-être pour cela, les Ukrainiens ont été très bien accueillis au Portugal. Qui au Portugal n’a pas lui même quelqu’un de la famille parti tenter d’améliorer sa vie à l’étranger ? Les Ukrainiens, comme les Portugais à l’étranger, sont venus avec un objectif en tête : faire de l’argent. Les patrons portugais en ont profité, et largement.
Des hommes qui n’avaient que ça à faire, corvéables à merci et très souvent clandestins. L’employé idéal, et qui en plus dit merci à son patron, quelle chance de pouvoir travailler !
Alors, lorsqu’ils se retrouvaient entre Ukrainiens pour faire un peu la fête et qu’ils buvaient un peu trop de vodka, on avait tendance à fermer les yeux. D’autant plus que les boîtes de nuit et les bars étaient bien contents d’avoir cette nouvelle clientèle. Ce n’était donc pas un problème, même si nous savions que la mafia, celle qui veut qu’on lui rembourse les passages clandestins, n’était jamais très loin.
On comprenait que pour eux, la vie n’était pas facile.
Le regroupement familial
L’arrivée des Ukrainiens a été massive et soudaine. Mais statistiquement, elle était pratiquement invisible, alors que chaque chantier du Portugal avait son ou ses Ukrainiens, mais aussi ses Moldaves ou ses Roumains. C’est à l’arrivée de José Socrates au pouvoir en 2005 que la situation des Ukrainiens se clarifiera. Des milliers d’immigrés seront ainsi régularisés, détenant désormais une autorisation de résidence permanente et officielle.
Les statistiques sont nettes, avec des régularisations massives à partir de 2006. A ce moment, les Ukrainiens sont encore majoritairement des hommes. Mais avec le temps et la légalisation des immigrés, les femmes sont venues rejoindre leurs maris, souvent avec leurs enfants.
Pendant que le mari travaillait sur les chantiers, les femmes travaillaient dans la restauration. On le comprend, il s’agit d’une immigration souvent jeune, en âge de travailler et des enfants, quand il y en a, en âge d’aller à l’école.
Après le pic de 2008, le nombre d’Ukrainiens au Portugal est en baisse quasi constante. Une baisse qui coïncide avec le début de la crise d’une part, puis avec les naturalisations d’autre part. Les Ukrainiens, bien intégrés, n’hésitent pas à prendre la nationalité portugaise.
En 2013, plus de 4000 ukrainiens avaient ainsi acquis la nationalité portugaise.
Une population instruite
Sur bien des aspects, l’immigration ukrainienne est similaire à l’immigration portugaise d’autrefois. Toutefois, il existe une différence, et de taille. Les Ukrainiens sont en règle générale, instruits, voir même très instruits. Tous ou presque ont fait des études, tous ont une valeur ajoutée professionnelle.
Sur ce point précis, ils ressemblent plus aux Portugais qui émigrent aujourd’hui, des diplômés partant à la recherche de bien meilleurs salaires dans les pays du Nord. Des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont ainsi profité d’une main d’oeuvre très qualifiée, qu’elle n’a pas eu besoin de former au préalable.
Au Portugal, malgré toute l’instruction des Ukrainiens, le pays n’en a pas que très peu profité. Le plus souvent immigrés clandestins, ils ne pouvaient pas légalement exercer leur métier. De nombreux médecins ukrainiens étaient ainsi sur les chantiers portugais plutôt que dans des hôpitaux !
On imagine mal la situation de l’Ukraine au début des années 2000, pour que des médecins puissent trouver qu’il valait mieux travailler sur des chantiers que d’exercer leur métier dans leur pays.
Manque de reconnaissance des diplômes
Avec la régularisation progressive des immigrés ukrainiens, ceux-ci pouvaient espérer la reconnaissance de leurs diplômes. Malheureusement, l’Ukraine, étant un pays extra-communautaire, n’avait pas d’accords avec le Portugal pour que les diplômes soient reconnus.
Ainsi, un médecin ukrainien voulant exercer au Portugal doit faire, encore aujourd’hui, un véritable parcours du combattant. Il doit passer à nouveau des examens qui confirment son diplôme, dans une langue qu’il ne maîtrise pas tout à fait. Néanmoins, beaucoup y parviendront.
D’autres, peut-être moins motivés ou dans l’impossibilité d’étudier convenablement, ne tentent même pas. Evidemment, il y a l’exemple des médecins, mais d’autres professions très qualifiées n’ont tout simplement aucune chance d’être reconnues au Portugal, sans avoir à refaire de longues études. C’est le cas des avocats, des métiers de l’administration publique, et de presque toutes les autres professions réglementées.
Des enfants intégrés
Les Ukrainiens, on l’a vu, sont instruits. Peut-être à cause de ça, l’école est, en règle générale, quelque chose de très important pour eux. Ils sont très attentifs aux études de leurs enfants, qui s’intègrent très rapidement au programme scolaire portugais.
Pour ceux qui sont déjà nés au Portugal, il n’y a pas de différence notable avec les autres petits Portugais. Peut-être le fait d’avoir des parents bien plus attentifs à leur parcours scolaire ? Cette attention particulière des parents Ukrainiens pour l’éducation de leurs enfants se reflète naturellement dans leurs parcours scolaires, souvent brillant.
Je dis bien « peut-être », n’ayant pas de statistiques fiables à présenter. Mais de mon expérience personnelle, où je croise souvent des universitaires au Portugal d’origine ukrainienne, je ne pense pas être très loin de la vérité.
Des enfants sportifs
J’ai envie de dire que c’est ici que se joue la plus grande différence avec les « Portugais du Portugal ». Habitués en Ukraine à pratiquer de nombreux sports, tous très différents du « football roi« , les Ukrainiens ont conservé leurs saines habitudes au Portugal, la transmettant à leurs enfants.
On retrouve ainsi assez souvent des sportifs portugais d’origine ukrainienne, ailleurs qu’au foot. C’est le notamment le cas de la nageuse Tamila Holub, qui participa aux Jeux Olympiques de Rio en 2016 puis à ceux de Tokyo en 2021. Venue à l’âge de 3 ans au Portugal, elle a une culture sportive « soviétique », transmise par ses parents. Une culture qui dit que sans efforts ni sacrifices, pas de résultats…
Une immigration bienvenue ?
On le constate, sur le papier, et souvent dans les faits, les Ukrainiens sont très bienvenus au Portugal. Beaucoup sont chrétiens orthodoxes pratiquants, ils partagent des valeurs semblables aux catholiques portugais.
Travailleurs et courageux, ils ont de plus des facilités pour apprendre la langue portugaise. Il faut dire que leur « accent » ressemble beaucoup à l’accent portugais, avec la même façon de rouler des R par exemple.
Pourtant, malgré ce scénario idyllique, tout n’est pas si rose. Ils ont, pour les hommes, gardé une certaine mauvaise réputation, liée à l’abus d’alcool. Souvenons-nous, aux débuts de l’immigration ukrainienne, beaucoup d’hommes étaient seuls, sans leurs femmes, et noyaient leur « saudade » dans la vodka, ou parfois dans les bras d’une prostituée. C’est ainsi qu’on plaisantait beaucoup avec Alexander, « Alex », employé de mon oncle, qui se perdait les weekends dans un bar quelconque, à la recherche d’amour tarifé après avoir descendu quelques bouteilles…
Les Ukrainiens ont également apporté avec eux, involontairement, la « mafia des pays de l’Est ». Si à leurs débuts, cette mafia ne s’occupait que de ses nationaux, elle commença petit à petit à s’étendre sur d’autres « affaires », touchant du coup l’ensemble des Portugais.
Cette mauvaise réputation de certains Ukrainiens peut parfois déteindre sur la police, toujours très méfiante. Nous ne saurons probablement jamais ce qui a fait que des inspecteurs du SEF (Service des Etrangers et des Frontières) tabassent à mort en 2020 Ihor Homenyuk, un immigré Ukrainien à l’aéroport de Lisbonne. Une énorme bavure, et sûrement certains a priori liés à ce que je viens malheureusement d’énumérer.
Pourtant, cette mauvaise réputation est exceptionnelle. Les Ukrainiens restent très respectés et aimés au Portugal. Mais attention à ne pas dévier, auquel cas ils pourraient tomber du mauvais côté de la réputation. Passer du Paradis à l’Enfer sans transition, en quelque sorte.
Le départ du Portugal
La plupart des Ukrainiens venus au Portugal choisissent d’y rester. La douceur de vivre, le calme, la sécurité, la gastronomie mais aussi les plages et la nature finissent de les convaincre de ne pas retourner en Ukraine.
On les comprend !
Pour d’autres, des opportunités ont pu se présenter ailleurs en Union Européenne. Mieux payés en France ou en Allemagne, ils vont quitter le Portugal à la recherche, une deuxième fois, de meilleurs salaires. D’autres finalement choisissent de retourner chez eux, en Ukraine. La progressive amélioration économique du pays leur a permis d’entrevoir à nouveau un futur chez eux. C’était le cas de Igor, l’employé de mon oncle. Il avait préféré retourner chez lui en Ukraine, auprès de sa femme et de ses enfants restés au pays.
Certains quittent ainsi le Portugal, mais avec la nationalité portugaise. Il y avait en 2021 environ 200 Portugais vivant en Ukraine, dont environ 160 avec la double-nationalité.
Réfugiés au Portugal
Avec l’invasion russe du pays en février 2022, c’est un nouveau cataclysme qui s’annonce pour l’Ukraine. Un cataclysme que le Portugal, et sa forte communauté ukrainienne, vont tenter d’adoucir tant que possible. Le pays a déjà signifié qu’il donnerait des visas de résidents à tous ceux qui avaient des amis, des connaissances ou de la famille au Portugal.
Rappelons que les Ukrainiens « portugais » sont principalement originaires de l’ouest de l’Ukraine, une population tournée vers l’Union Européenne, contrairement à leurs compatriotes de l’Est, majoritairement russophones et tournés vers la Russie. Autant dire qu’ils ne portent pas Vladimir Poutine dans leur coeur…
Par ailleurs, le Portugal s’organise pour accueillir dignement ces nouveaux-venus, en leur trouvant des emplois. C’est une opportunité immense pour le pays, où de nombreux secteurs de l’économie manque de main d’oeuvre. Redisons-le encore une fois : comme aux débuts de l’immigration ukrainienne, les patrons ont une main d’oeuvre corvéable, docile et heureuse d’être là.
Tant pis, ou tant mieux, si les Patrons portugais sont heureux. Ce qui compte, pour nous, c’est d’accueillir nos frères ukrainiens, en attendant des jours meilleurs. Si par hasard ils peuvent aider le Portugal, puis à nouveau leur pays d’origine, pourquoi pas !
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