Un tabou, c'est quelque chose qui peut fâcher si on en parle. Suivant les pays et les cultures, ils ne sont pas tous identiques. Nous n'avons pas tous la même sensibilité, et ce qui est tabou pour moi ne l'est pas forcément pour vous.
C’est par comparaison avec la France, mon autre pays, que je me suis rendu compte des différences d’attitude des deux pays envers un même sujet de société. On ne se rend pas forcément compte, en vivant au Portugal, des sujets tabous, tant que nous n’y sommes pas exposés. Sauf peut être les traditionnels Fado, Fátima et Football… qui n’en sont plus vraiment.
Sommaire
« Ça ne me dérange pas tant que ça ne me concerne pas »
Cette phrase pourrait résumer l’impression que nous avons des tabous au Portugal. Il n’y en a presque aucun au niveau du pays, des Portugais dans leur ensemble. Au niveau de l’individu, c’est une autre histoire…
J’ai donc, pour compléter mes ressentis forcément personnels, regardé ce qui se disait sur la toile, au détour d’un forum de discussion ou de l’actualité. Comme prévu, les tabous « nationaux » peuvent être aussi générationnels. Il est plus simple de parler de sexe avec une personne de 30 ans en France ou au Portugal qu’avec une personne de 80 ans.
Le sexe
C’est peut-être le tabou numéro 1 dans la plupart des cultures occidentales. Mais si nous n’étalons pas notre vie sexuelle au yeux du monde entier, il existe des sujets où les Portugais semblent bien plus libéraux que les Français. Le sketch des Inconnus sur le préservatif nous montre ce côté plus apaisé des Portugais avec leur sexualité.
L’homosexualité, auprès des élites, de la communication sociale et de la législation n’est pas un tabou. On en parle ouvertement à la télévision. Les personnalités publiques « avouent » de plus en plus facilement leur homosexualité. La ménagère de 50 ans et plus est très habituée aux présentateurs de télévision ouvertement homosexuels, que ce soit un Manuel Luis Goucha ou un Carlos Malato…
De même, l’homosexualité des politiciens n’a pas vraiment été un sujet pour les Portugais. C’est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait que de nombreux politiciens a avoir fait leur coming out sont issus de la droite conservatrice.
Il n’y a pas eu de manifestations monstrueuses lors de l’adoption du mariage homosexuel au Portugal, contrairement à la France. Il faut croire que le sujet fâche moins les Portugais que les Français.
Bien sûr, dans l’intimité familiale, c’est une toute autre histoire. De mon ressenti, il semble plus facile de faire son coming out auprès de ses proches en France qu’au Portugal. Cela peut sembler un non-sens, une incohérence, mais pas tant que ça à bien y penser : plus que jamais, le « ça ne me dérange pas tant que ça ne me concerne pas », est une réalité de la mentalité portugaise.
Le racisme
C’est un sujet difficile, pour toutes les cultures. Est-ce que le Portugal est un pays raciste? Dès que l’on pose cette question qui fâche, nous pouvons obtenir des réactions diamétralement opposées. Entre ceux qui dénient purement et simplement l’existence de racisme au Portugal, et ceux qui ressortent le passé négrier des Portugais, forcément foncièrement racistes, il n’y a pas de discussion sereine possible.
Il en ressort, pour nos élites, une idée d’un vague « lusotropicalisme », terme inventé par un brésilien il y a plus d’un siècle, expliquant que les différents peuples lusophones étaient métis. Le métissage fantasmé, du moins en ce qui concerne le Portugal, serait une sorte de protection contre le racisme.
C’est un rappel, quelque part, de la glorification du passé portugais, parti à la découverte d’autres peuples. Les Portugais ont appris à l’école les bienfaits de l’exploration du monde, et mis à la trappe les effets pervers et négatifs. Remettre ceci en cause serait presque un déni d’identité portugaise.
La réalité du racisme au Portugal est complexe, nous pouvons constater, surtout avec les Gitans, que le sujet est souvent soigneusement évité.
De mon ressenti, le Portugais n’est pas raciste. Ce n’est pas, pour lui, une question de couleur de peau ou d’origine. Ce qu’il n’aime pas, ce sont les personnes qui ne respectent pas les codes de la société portugaise.
Un dicton populaire dit : « Seja bem-vindo se vier por bem », soyez le bienvenu si vous venez avec de bonnes intentions.
L’hospitalité portugaise est plus forte que la xénophobie, tant que l’étranger fait des efforts lui aussi de son côté. La couleur de peau semble exclue de cette équation. Personne n’a eu de difficultés pour voter pour António Costa, premier ministre socialiste, malgré ses origines indiennes.
Que ce soit envers les Gays ou les étrangers, les Portugais sont tolérants. Il y a toujours des efforts à faire, peut-être pour combattre l’éventuelle honte que la société portugaise peut jeter sur les personnes « différentes », mais une fois cette différence assumée, la sécurité du pays et la tolérance relative permet à tout un chacun de vivre sa vie tranquillement.
Le tabou du football
On ne critique pas CR7 !
Voici un sujet clivant par excellence, mais qui ne provoque rien au niveau sociétal. Il n’y aura pas de révolution parce que Pedro trouve que Cristiano Ronaldo devrait partir à la retraite ou que Miguel pense que l’entraîneur du Benfica est mauvais.
On discute absolument de tout, il n’y a aucun sujet véritablement tabou en ce qui concerne le sujet de conversation préféré des Portugais.
Sauf peut-être lorsqu’il recoupe d’autres sujets complexes. Qui parle d’homosexualité des joueurs de foot? Personne.
Il y avait eu il y a quelques années quelques remarques racistes envers le joueur Quaresma, Gitan portugais. Ceci ne l’a pas empêché de vivre une belle carrière, et d’être apprécié par les supporters. Il faut dire que les remarques étaient plus des blagues de (très) mauvais goût qu’autre chose.
En ce qui concerne les Noirs, les Brésiliens, pas de racisme détectable facilement. Eusébio, né au Mozambique, a une statue de lui devant le stade du Benfica, et certains des meilleurs joueurs portugais de la Seleção sont nés au Brésil.
Je me souviens des levées de bouclier lorsque Deco, né au Brésil, fut sélectionné pour la première fois. Ces réticences sont aujourd’hui pratiquement toutes oubliées, sauf, parfois, au détour d’un commentaire ou d’une erreur du joueur naturalisé…
Le tabou de Salazar
Il me semble que c’est le premier des tabous aux yeux des élites portugaises et de la communication sociale. Impossible d’avoir une réflexion dépassionnée au sujet du Estado Novo.
Impossible de se questionner sur les éventuels problèmes de la démocratie face à la dictature. Impossible de regarder les choses qui se passaient bien avant la Révolution des Oeillets.
Je n’ai jamais aimé le monde en noir et blanc. Tout cataloguer en termes manichéens empêche d’évoluer. Ça vient de Salazar? Alors c’est forcément mauvais.
Ce tabou est à mettre en rapport direct avec la fin désastreuse du colonialisme portugais. Oui, la jeune démocratie portugaise a fait n’importe quoi, abandonnant à leur sort des millions de personnes. Ces blessures sont encore ouvertes aujourd’hui, et ils sont peu nombreux à vouloir en parler. De peur, peut-être, de remettre en question les acquis de la démocratie.
La guerre coloniale
Du point de vue personnel, il est presque impossible de parler de guerre coloniale à un ancien combattant. C’est un traumatisme dont on ne parle pas. Il faut faire semblant, presque comme si la guerre n’avait jamais existé.
L’argent
Dire combien on gagne, parler d’argent, c’est compliqué. J’ai eu la même sensation en France, les salaires sont souvent des secrets d’État.
C’est une logique latine, de peur de susciter de la jalousie… ou de la pitié.
Il me semble que dans les pays anglo-saxons, ce n’est pas du tout le cas. C’est pourtant incohérent, lorsque l’on sait que de nombreux Portugais se complaisent dans le paraître. Sans dire combien ils gagnent, ils le montrent aux yeux de tous avec de belles voitures, même si elles sont à crédit.
Pays décomplexé ?
Nous pouvons parler de presque tout au Portugal. Les rares sujets qui sont encore tabou le sont de moins en moins. Et parler, dialoguer, c’est à mon sens le meilleur moyen d’avancer.
Comment faire sortir les immigrés issus des anciennes colonies de la pauvreté, si nous dénions que le racisme existe au Portugal, ou que nous évitons d’en parler ?
Balayer sous le tapis n’a jamais été une solution, et les Portugais semblent le comprendre. Ces discussions, taboues, peuvent fâcher, dresser les gens les uns contre les autres. Mais il me semble que la société portugaise est bien moins clivante que celles d’autres pays européens. L’épouvantail migratoire semble ici bien moins affirmé qu’ailleurs. Nous pouvons en parler bien plus librement.
On croise moins souvent des exclamations comme « on ne peut plus rien dire »… et c’est une chance.
Pour aller un peu plus loin, vous pouvez regarder ma vidéo sur le sujet, et y participer en commentaires, merci !
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