Au Portugal, la famille royale pensait pouvoir trouver son havre de paix personnel à Buçaco, une forêt autrefois occupé par les Frères Carmes Déchaux.
De nos jours, la tranquillité est devenue un luxe. Un luxe qui a commencé à être recherché au XIXème siècle par les puissants d’alors, en pleine période romantique.
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La « Mata do Buçaco » est un bois enchanté, le Romantisme à l’état pur. L’endroit était idéal. Depuis la fin des ordres religieux en 1834, le monastère qui s’y trouvait était à l’abandon. Il sera repris pour la famille royale, et démolit partiellement pour y construire ce qui devait être un pavillon de chasse, un véritable château de contes de fées…
Dans la brume de Luso
A quelques kilomètres de la ville de Mealhada se trouve Buçaco, un petit lieu-dit de la commune de Luso. En pleine Serra do Buçaco, la région bénéficie d’un microclimat particulier, constamment humide. Cette brume omniprésente est la clé de l’atmosphère si romantique de Luso.
Il ne s’agit pas là d’une humidité néfaste. Les eaux de Luso, connues dans tout le pays, sont réputées pour ses propriétés médicinales, qui ont fait le succès de ses thermes au XIXème siècle, bien avant la construction du palais. Si on allie à la pureté de l’eau la gastronomie locale, tout aussi réputée, on imagine facilement que le roi serait bien inspiré d’y vivre.
De par son histoire, Buçaco possède une aura romantique à part, chargée de symboles. Le lieu est idéal pour un séjour en amoureux, idéal pour quelqu’un en quête d’inspiration et parfait pour se reposer de notre frénésie moderne. Le dernier roi du Portugal, Manuel II, y séjourna ainsi « en cachette » avec l’actrice marseillaise Gaby Deslys, star mondiale du music-hall. Hélas, le peuple ne voulait pas de cette union entre un roi et une roturière, actrice de surcroît, et Gaby dû quitter son roi…
En arrivant de nuit à Buçaco, après avoir traversé la « porte de la Reine » et ainsi pénétré dans le bois, le Palace Hôtel se laisse découvrir après une route sinueuse, où les faisceaux lumineux de notre voiture se heurtent à un épais brouillard. Entrevoir les lumières du palais entre les brumes nocturnes de Buçaco par une froide nuit d’hiver au bout de la route est une expérience sortie d’un roman, où les personnages sont rassurés d’avoir trouvés un lieu les accueillant en toute sécurité au milieu d’une Nature inconnue…
Le néo-manuélin, ou le Romantisme à la portugaise
Architecturalement, le romantisme a été l’expression des nationalismes naissants un peu partout en Europe. Les nouvelles constructions devaient nous rappeler les gloires passées du pays, et ainsi créer un sentiment de fierté nationale.
Le village de Buçaco est un haut lieu du patriotisme portugais, où chaque année est célébrée la victoire en 1810 des troupes anglo-portugaises. En effet, elles battirent sèchement cette année-là les troupes d’André Masséna, envoyées par Napoléon. Autant dire que Buçaco avait tout pour plaire à la « fierté nationale », à la recherche d’un palais pour son roi, mais surtout pour la gloire du pays.
Au Portugal, qui dit gloire passée dit « saudade », ce sentiment proche de la nostalgie, peut-être né pendant les Grandes Découvertes, du temps du roi Dom Manuel Ier. La saudade se marie bien avec le Romantisme, cette volonté de revenir à une période que l’on sait perdue à jamais.
L’architecture néo-manuéline, héritière du style manuélin en vigueur pendant le glorieux XVIème siècle portugais, était sans doute une façon de revivre cet âge d’or. L’apogée du mouvement romantique portugais se confond avec la construction du Palais de Pena à Sintra, par la volonté du roi consort du Portugal, Ferdinand II de Saxe-Cobourg et Gotha Kohary. Quelques années plus tard, la reine consort D. Maria Pia caressait le rêve de posséder elle aussi son château romantique, qui ferait écho à celui de son beau-père Ferdinand II…
Un architecte italien pour un palais portugais
Les nationalistes ont toujours eu certaines incohérences, qui ne manqueront pas d’échapper aux personnes attentives. On pouvait croire légitimement qu’un nationaliste voulant créer un palais qui montre le génie portugais allait faire appel à un architecte national. Pour le palais de Buçaco, ce n’est pas le cas, comme pour bon nombre d’autres grands monuments du pays.
Il faut dire que même autrefois, on faisait facilement appel aux meilleurs architectes, indépendamment de leur nationalité. Dans les faits, les souverains européens étaient membres d’une seule et unique famille : tous étaient cousins, une réalité encore plus marquée au XIXème siècle, ce qui devait ouvrir bien des esprits au moment de s’entourer des meilleurs artistes.
C’est ainsi que Emidio Navarro, le ministre des « travaux publics », pour construire l’ultime demeure de la famille royale, fit appel à un italien : Luigi Manini. Cet architecte était venu au Portugal quelques années auparavant à la demande de sa compatriote la reine consort D. Maria Pia, afin de décorer le théâtre São Carlos à Lisbonne.
La mode était alors aux châteaux romantiques, même si le romantisme et tous les mouvements architecturaux revivalistes du passé commençaient sérieusement à s’essouffler.
Quoiqu’il en soit, Manini rempli à la perfection sa mission, en créant pour la famille royale un palais remémorant les plus beaux ouvrages du génie portugais. Tant et si bien qu’il sera à nouveau choisi pour construire un autre haut lieu du romantisme portugais : la Quinta da Regaleira à Sintra.
L’Histoire du Portugal dans un hôtel 5 étoiles
Les choix architecturaux du Palais de Bussaco (ancienne orthographe de « Buçaco ») contrastent avec l’austère monastère des Frères Carmes. Tout est exubérance, tout fourmille de détails, issus des plus beaux monuments portugais.
Architecturalement, on reconnaîtra des éléments venus de la Tour de Belém, du Couvent du Christ de Tomar ou encore du Monastère des Hiéronymites. Bref, la crème de la crème, décorée par les meilleurs artistes portugais de leur temps. On reconnaîtra notamment les extraordinaires azulejos de Jorge Colaço, que l’on retrouve dans d’autres lieux majeurs de l’architecture portugaise : la gare de São Bento ou l’église de Santo Ildefonso à Porto, le Palais de Bemposta ou encore pavillon Carlos Lopes à Lisbonne.
Le ton est ainsi donné dès l’arrivée au Palais, avec des panneaux d’azulejos évoquant l’épopée maritime portugaise si bien racontée par le poète Luiz Vaz de Camões, nous préparant aux merveilles se trouvant à l’intérieur…
Le palais regorge ainsi de trésors, qui retracent les grands moments de l’Histoire portugaise, de la fondation du pays aux grandes Découvertes, en passant par les grandes victoires militaires. De nombreux artistes ont contribué à faire de Buçaco ce qu’il est aujourd’hui, le plus symbolique des hôtels portugais. On y retrouve par exemple des fresques des peintres Ramalho Junior ou Carlos Reis ou des statues de Antonio Gonçalves et Costa Mosta…
Ce cadre privilégié a pourtant quelques bémols. Le palais accuse désormais le poids des années, faute d’une modernisation conséquente. Les 5 étoiles sont là pour l’Histoire du lieu, et non pas pour la qualité ou la variété des prestations, malheureusement. L’hôtel, et son restaurant, reste un endroit sublime où séjourner, mais un rafraichissement serait sans doute très bienvenu, surtout si le palais monte en grade, passant de simple « monument national » à « patrimoine de l’Humanité », titre décerné par l’UNESCO…
Un palais royal devenu hôtel
La famille royale n’aura finalement jamais vécu à Buçaco. Il faut dire que le règne de Carlos I, fils de Maria Pia, fut des plus troubles du Portugal. De son couronnement en 1889 à sa mort, il dû composer avec plusieurs crises internes qui finiront par son assassinat en 1908 et à l’avènement de la république deux ans plus tard…
Il n’empêche : c’est sous le règne du malheureux Carlos que le palais sera construit pendant de nombreuses années, le gros œuvre étant terminé en 1899. Ce n’est qu’en 1904, que le roi pût y séjourner quelques semaines. Il n’aura pu goûter aux plaisirs de la fabuleuse « Casa dos Brasões », dont la construction ne débuta que l’année suivante par le successeur de Marini, l’architecte Manuel Joaquim Norte Júnior. La décoration ne sera vraiment terminée qu’en 1922, dans une république où la royauté n’est plus qu’un lointain souvenir…
Le palais, au départ à destinée royale, avait de fait finalement été conçu comme étant un « palais du peuple », ou, en d’autres termes, un hôtel. Avec les troubles républicains de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, il était malvenu en effet que la famille royale se construise un palais personnel, et d’étaler ainsi à la vue de tous un luxe inapproprié en période de crise.
Sources
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