Le Portugal du XVIème siècle était un pays esclavagiste. Mais ce n'était pas par véritable racisme. C'était pour l'argent. L'aventure de João Garrido, un africain élevé à Lisbonne puis devenu conquistador nous le démontre.
Les esclaves africains
Il n’y avait pas de ville plus exotique en Europe que Lisbonne. Pas de ville plus mondialisée. Nous pouvions y trouver des hommes des quatre coins du monde. Des chinois, des japonais, des indiens, des amérindiens, d’autres européens évidemment, et beaucoup, beaucoup d’africains.
Sommaire
Nous n’avons pas les chiffres exacts, mais il semblerait que 10 à 20% de la population lisboète était noire. Des récits de voyageurs européens à Lisbonne nous indiquent la surprise qu’ils ont eu en découvrant cette ville si cosmopolite. Un endroit où, semble-t-il, chaque famille avait au moins un esclave à son service.
Pourtant, la plupart des esclaves capturés en Afrique ne venaient pas en Europe. Ils étaient exportés au Brésil, où leur précieuse main d’oeuvre était beaucoup plus rentable. Ces personnes étaient souvent des prisonniers de guerre, vendus par leurs ennemis africains. Ils étaient parfois capturés par les portugais eux-mêmes. Mais on aurait tort de croire que tous les africains de Lisbonne ou du « Nouveau Monde » étaient des esclaves.
Un africain libre
Celui qui ne s’appelait pas encore João serait né en 1487, sur la côte occidentale africaine. Arrivé à Lisbonne étant jeune, nous ne savons pas s’il était à ce moment là un homme libre ou un esclave. Deux théories s’affrontent.
Selon l’historien Ricardo Alegría, qui a écrit « Juan Garrido, primer negro conquistador« , Garrido serait peut-être le fils d’un roi africain, avec qui les portugais firent commerce. A ce titre, le prince fut envoyé à Lisbonne pour y avoir une éducation chrétienne et portugaise. Cette hypothèse est tout à fait vraisemblable, souvenons-nous que le roi du Kongo, ami des portugais, s’était librement fait baptiser en 1491.
D’autres historiens pensent que Garrido était un esclave libéré. Pour appuyer leur thèse, ils se basent simplement sur le fait qu’un autre homme portait le même patronyme que lui lors de son voyage vers le nouveau monde. João (ou Juan, comme il est connu en Espagne) serait ainsi l’esclave de Pedro Garrido.
En toute honnêteté, l’incroyable parcours de João Garrido ne me semble pas coller avec celui d’un esclave, contraint et forcé. Cultivé et entreprenant, il avait le respect des hommes qui travaillaient avec lui.
La conquête du Nouveau Monde
A l’âge de 15 ans, le jeune Garrido, élevé dans la Lisbonne cosmopolite de la Renaissance, voyage jusqu’à Séville. Nous n’avons pas d’indication sur ses motivations, mais une chose est sûre : il partira l’année suivante sur l’île d’Hispaniola. Nous sommes alors en 1503, encore au tout début de la colonisation du « Nouveau Monde ».
Pour cette première expédition, Garrido accompagne le nouveau gouverneur de l’île, Nicolás de Ovando. Avec 30 navires et 2500 colons, Ovando entend bien développer la nouvelle colonie. Pour y parvenir, il fait également venir des « ladinos », des esclaves africains parlant espagnol.
La grande cruauté du gouverneur envers les peuples natifs d’Hispaniola choque même la reine d’Espagne, qui s’émouvait de la grande diminution de leur population. Les natifs, plus que les massacres, étaient submergés par les maladies européennes.
Disons-le tout de suite : Garrido n’était pas un saint, et participa, comme les autres conquistadors, à la maltraitance des amérindiens. Nous sommes dans un siècle où l’humanisme n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements dans les milieux intellectuels européens, loin des préoccupations des aventuriers en quête de gloire et de richesse.
Ponce de Léon
En 1508, Juan Garrido, qui est maintenant plus espagnol que portugais, se met au service du célèbre Ponce de Léon. Ce conquistador, vous le connaissez peut-être pour sa quête incessante de la fontaine de jouvence ! Ce n’était pas un tendre, et Garrido non plus. Ponce de Léon participa aux massacre des indiens Taïnos sous le gouvernorat d’Ovando.
Avec l’autorisation du roi d’Espagne, il part avec 50 hommes pour Porto Rico. Avant la recherche de la jeunesse éternelle, Ponce de Léon était surtout à la recherche d’or. Parmi ces premiers aventuriers, Garrido.
Garrido accompagnera Ponce de Léon dans ses aventures pendant 13 ans. Entre recherche d’or et répression des révoltes indiennes, Juan Garrido ne chôma pas. Conquête de Floride, de Cuba, de Guadeloupe… les Caraïbes étaient son quotidien.
Mexico
En 1519, lorsque Garrido rejoint Hernán Cortés, il est un homme très expérimenté. Ensemble, ils vont conquérir Tenochtitlan en 1521, l’actuelle Mexico City, capitale de l’empire Aztèque. C’est ici qu’il s’installera et fondera une famille.
Dans une lettre qu’il envoie au roi d’Espagne en 1538, Garrido expose ses exploits, à la recherche, comme tant d’autres conquistadores, d’une pension pour services rendus à l’Espagne. Il y indique qu’il a été le premier à cultiver le blé en Nouvelle Espagne, le Mexique actuel. Sur le document, qui existe toujours de nos jours, Juan est sans équivoque : il est noir, habite à Mexico, a trois enfants et est pauvre, malgré 30 ans au service de l’Espagne.
Il semblerait, comme pour tant d’autres conquistadors, qu’il n’aie pas obtenu sa pension. Il faut dire ici qu’il avait dilapidé son argent tout au long de sa vie, au gré de ses nombreuses aventures, à la recherche d’une fortune qui ne vint jamais.
Il meurt à l’âge de 67 ans.
Son parcours extraordinaire nous montre un homme, noir, né en Afrique, avec une ambition à toute épreuve. Rien ne l’obligeait à faire toutes ses expéditions en Amérique ! Rien n’atteste également d’un éventuel « racisme » à son égard de la part de ses camarades conquistadors.
Son histoire est un rappel pour nous, hommes d’aujourd’hui. Il ne faut pas tenter de comprendre le passé avec nos yeux d’hommes contemporains, avec nos valeurs actuelles. Il est vrai que Garrido était sans doute une exception notable parmi les millions d’esclaves noirs. Mais il est aussi vrai que le Portugal, puis l’Espagne lui ont permis d’avoir les mêmes opportunités que les aventuriers blancs, qu’il saisi des deux mains !
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