Carlos Seixas
Carlos Seixas

Carlos Seixas et la musique baroque portugaise

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Carlos Seixas, compositeur portugais, est un cas unique au Portugal. Connu pour ses compositions pour clavecin et orgue, Seixas détonne dans cette Lisbonne du roi dévot Jean V, toujours plus dominée par l’influence musicale italienne.


Musique d’église

Quand l’Inquisition fut instaurée, l’église commença à assumer un rôle inédit dans la production culturelle portugaise. Un contrôle de la société, toujours plus accentué par le vide que l’église remplissait en l’absence de la Cour à Lisbonne lors de la domination espagnole, occupant une grande partie du XVIIe siècle. Ce contrôle continua, malgré le retour d’une dynastie portugaise sur le trône. Au siècle suivant, les liens du roi Jean V avec l’église ont laissé peu de place à la musique profane. Les tendances absolutistes du roi, ses angoisses et son goût pour l’ostentation durant la première moitié du XVIIIe siècle s’exprimèrent pleinement dans le paysage musical portugais, dominé par la musique d’église.

Jean V
Jean V

De fait, les œuvres religieuses dominaient, dédiées au service liturgique. De la musique essentiellement vocale, faite de plain-chant, de musique polyphonique ou même de « villancico », enseignée au sein des institutions religieuses, comme la cathédrale de Evora, le monastère de Santa Cruz à Coimbra ou la Chapelle Royale.

Le villancico était une forme musico-poétique très présente en péninsule ibérique pendant la Renaissance, qui évolua postérieurement en « villancico baroque ». Très populaire, on retrouvait cette musique – pourtant d’origine profane – dans les églises. Sans doute pas assez « intellectuelle » ou « sacrée » aux yeux de Jean V, celui-ci les interdit purement et simplement en 1723.

La Chapelle Royale, par volonté de Jean V, obtint un rôle prépondérant dans la musique du royaume. Le roi, désireux de remettre le Portugal sur la carte des grandes nations européennes, était attentif à ce qui se faisait à l’étranger. La dignité du Portugal passait, selon lui, par la reconnaissance des autres pays, guérissant ainsi définitivement les meurtrissures à l’orgueil national provoquées par la domination espagnole du siècle précédent. Pour cela, et avec l’aide précieuse de l’or du Brésil, Jean V élabore une stratégie diplomatique de premier ordre, avec Rome au centre de ses attentions.

Clavier Antunes
Clavecin réalisé par l’atelier Antunes, chef d’oeuvre portugais du XVIIIe siècle

Musique italienne au Portugal

La Rome de la première moitié du XVIIIe siècle était l’un des centres musicaux européens les plus importants. L’Italie, pays du mouvement Baroque qui domina les Arts européens, dominait également la production musicale en Europe. Les musiciens et compositeurs étrangers y venaient pour se perfectionner, influencés par des compositeurs de l’ère Baroque comme Antonio Vivaldi ou Domenico Scarlatti. Comme toute l’Europe, sauf l’exception française, le Portugal « s’italianise ». Jean V, désireux d’être aux avant-postes de ce qui se fait de mieux, dote la Chapelle Royale de budgets conséquents, et lui associe une nouvelle école, le Séminaire Patriarcal de Lisbonne en 1713. Cette politique volontariste permettra l’envoi d’élèves boursiers en Italie, et de faire venir à Lisbonne quelques-uns des plus grands maîtres italiens, qui marqueront la vie musicale portugaise.

La venue de ces maîtres, professionnels de la musique religieuse, mais également profane, augmenta la porosité entre les deux. De cette façon, le Portugal n’était pas hermétique à la pratique de la musique instrumentale, même si très réduite en comparaison de la musique vocale. Selon José Bettencourt da Câmara, il manquait au Portugal des conditions « idéologiques » qui lui aurait permis de développer la musique instrumentale. Il n’y avait pas de marché pour la musique en dehors de la sphère religieuse, pour ainsi dire. Au contraire de l’Italie ou de l’Allemagne, constituées de myriades de petits états en concurrence, où toutes les cours princières se devaient d’avoir leurs musiciens comme moyen de représentation, le Portugal, petit pays unifié, n’était pas un terrain propice pour ce genre d’émulation. De plus, ni la bourgeoisie, ni la noblesse, étaient moteurs de développement de la musique instrumentale. Seules quelques rares exceptions, comme l’épouse du roi, Marianne d’Autriche et quelques autres étrangers vivant à Lisbonne écoutaient autre chose que de la musique vocale.

Domenico Scarlatti

Domenico Scarlatti
Domenico Scarlatti

L’arrivée au Portugal du maître de la Capella Giulia du Vatican, Domenico Scarlatti, fut décisive pour l’italianisation de la musique lusitanienne. Venu pour prendre la direction de la Chapelle Royale, le changement pour le goût italien fut complet en 1723, avec l’interdiction royale des « villancicos ». La contribution de Scarlatti au développement de la musique profane d’origine italienne à la cour de Jean V est incontestable, par les sonates pour clavecin qu’il composa pour la princesse Maria Bárbara, elle-même excellente claveciniste.

Les fêtes ou les cérémonies de gala royales étaient désormais accompagnées de sérénades, vite copiées par la noblesse, ce qui ouvrit la voie pour les premières représentations d’opéra dans les années 1730. L’introduction timide de l’opéra au Portugal par les boursiers portugais à Rome que furent Francisco António de Almeida et António Teixeira fut confirmée par le succès que le genre atteignit lors de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

La musique instrumentale semble avoir été limitée aux salons privés, au cercle restreint de quelques nobles ou bourgeois.

Carlos Seixas, exception portugaise

Scarlatti étant l’un des plus extraordinaires compositeurs pour clavecin de son époque, son influence ne pouvait rester cantonnée à la seule musique vocale. Carlos Seixas, fils de l’organiste de la cathédrale de Coimbra, vint à Lisbonne en 1720, à l’âge de 16 ans.

Carlos Seixas
Carlos Seixas

Intégrant la Chapelle Royale en tant qu’organiste, il fut par la suite vice-maître de cette institution, épaulant Scarlatti et composant également des œuvres religieuses vocales. Etant collègues, Scarlatti, avec plus d’expérience, a certainement transmis un peu de son savoir et influence au jeune Seixas. Mais, si transmission il y a eu, cela n’a pas empêché le portugais de garder une profonde originalité et, comme le suggère Luís Pipa, d’avoir à son tour influencé le maître italien.

En étant organiste, Seixas ne pouvait qu’être original dans un contexte italianisant. La péninsule ibérique avait développé pour l’orgue une tradition unique, qui naturellement avait déteint sur le jeune compositeur portugais. Pour José López-Calo, c’est Scarlatti qui donna l’idée à Seixas de composer des sonates, une forme musicale alors inexistante au Portugal. Mais Carlos Seixas, qui composa de nombreuses sonates pour clavecin, conserva toujours ses spécificités ibériques. Il utilisa la forme musicale italienne, mas avec sa forte influence d’organiste ibérique. Son indépendance artistique – il ne voyagea jamais en Italie – se confirme par exemple dans son œuvre pionnière en Europe, le « concert en La majeur pour clavecin et orchestre », une œuvre majeure de la musique baroque.

Bibliographie

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BRITO, Manuel Carlos de; CYMBRON, Luísa – História da Música Portuguesa. Lisboa: Universidade Aberta, 1994.

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Article disponible sur : https://dspace.uevora.pt/rdpc/bitstream/10174/2586/1/A%20figura%20de%20D.%20Jo%c3%a3o%20V%20e%20a%20musicografia%20portuguesa%20A.pdf

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PIPA, Luís Filipe Barbosa Loureiro – Iberian flavours emerging from Domenico Scarlatti’s and Carlos Seixas’ harpsichord sonatas. Piano Bulletin. Delft: EPTA Netherlands, Vol. 34, 2016. Article disponible sur : http://repositorium.sdum.uminho.pt/bitstream/1822/54542/1/Artigo%20LPIPA%202016-Piano%20Bulletin%202016-1.pdf


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