Bragance
Bragance

Bragance, Trás os Montes

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« Bragance »… c’est un nom qui me fascine. La sonorité de ce mot possède quelque chose de magique, d’inexpliqué, qui m’a poussé à visiter la ville qui porte ce nom, à l’extrême nord-est du Portugal.


Bragance, d’où viens-tu ?

Les origines de la ville sont si lointaines qu’elle ne devait même pas avoir de nom lors des premiers établissements humains de la préhistoire.

Il se pourrait qu’elle soit de fondation romaine, bâtie sur une ancienne forteresse celte. Le nom de Bragance viendrait ainsi de l’ancienne « Brigantia », une déesse que l’on retrouve un peu partout dans le monde celtique. En France, elle est connue sous le nom de « Brigitte ».

Nous n’avons pas de sources écrites datant de la période romaine mentionnant Bragance. Seules quelques découvertes archéologiques confirment une occupation humaine à cette époque. Il faudra attendre la domination Suève pour que Bragance entre enfin dans l’histoire.

Le royaume suève, puis wisigothique, sont toujours auréolés de mystère dans la région. Un mystère encore plus prononcé lors de l’occupation musulmane.

Castro de Avelãs

La clé pour mieux comprendre les origines de Bragance ne sont pas à chercher en ville, mais dans un petit village des environs. Pendant la domination romaine, Castro de Avelãs était connu par le nom des gens qui y habitaient, les Zoelas.

Situation géographique de Bragance
Situation géographique de Castro de Avelãs

Avec les invasions barbares, la région que l’on nomme aujourd’hui « Terra Fria », ou « Terre Froide » en français, était pratiquement déserte. Ce phénomène fut encore probablement amplifié à l’arrivée des Maures. Seul semblait survivre le monastère de São Salvador, peut-être bâti sur un ancien site sacré des Zoelas.

Nul ne connait la date de fondation de ce monastère à Castro de Avelãs. Certains affirment qu’il fut fondé autour de l’an 667, à l’époque de l’évêque Fructueux de Braga et des Wisigoths.

L’église que nous pouvons voir aujourd’hui n’est qu’une petite partie de l’ancienne splendeur du monastère. Des édifices construits au XIIe siècle, seul subsiste le chevet de l’église. C’est un chevet unique en son genre, rare exemple d’architectures romane et mudéjar, construit en briques et non en pierre.

Monastère de São Salvador
Monastère de São Salvador

Pour rappel, l’architecture mudéjare est l’héritière des musulmans de péninsule ibérique, appliquée à des édifices chrétiens.

C’est surprenant de trouver de l’art mudéjar ici, au cœur de Trás-os-Montes, une région qui n’a jamais été durablement musulmane. Ce fait donne une aura absolument unique à l’église d’aujourd’hui.

Après l’abandon forcé des religieux de leur monastère au XVIe siècle, l’édifice tomba rapidement en ruines. Ce n’est que des siècles plus tard qu’un curieux ajout baroque, hors de propos, viendra protéger et « compléter » ce qui reste de l’ancienne église.

Les seigneurs de Bragance

Au XIe siècle, le chevalier breton Mendo Alão arrive à Castro de Avelãs et son monastère. Comme beaucoup d’autres guerriers étrangers, il vient mettre ses compétences militaires au service de la reconquête chrétienne de la péninsule ibérique.

La légende nous raconte que Mendo Alão, devenu clerc au monastère de Castro de Avelãs, était en fait Alain de Bretagne, le jeune fils de Guérech, comte de Nantes. Au lieu de décéder prématurément de maladie en l’an 990, il aurait fui l’ambitieux comte de Rennes et duc de Bretagne Conan le Tort, qui ne pouvait pas supporter d’éventuels concurrents au duché de Bretagne.

Mendo Alão devient ainsi le premier seigneur de Bragance. En épousant une princesse arménienne qui s’était installée dans « son » monastère lors d’un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, il fonda la famille des Bragançãos. C’est son fils, Fernão Mendes de Bragança Ier, qui refondera l’ancienne Brigantia romaine, désormais Bragance, dans les environs de Castro de Avelãs.

Château de Bragance
Château de Bragance

Bien des années plus tard, l’importance stratégique de cette ville pour le Portugal que D. Afonso Henriques est en train de construire est évidente. Fernão Mendes II épouse Sancha Henriques, sœur du roi. C’est lui qui fera construire le château que nous pouvons voir aujourd’hui.

Bragance assoit définitivement sa place au sein du royaume du Portugal lorsque la ville obtient de l’autorité royale sa lettre de fondation en 1187.

Château et citadelle de Bragance

C’est la situation stratégique de Bragance qui lui a permis de se développer. La puissance de son château et les murailles de sa citadelle étaient une garantie de paix, face aux espagnols.

La citadelle correspond à la ville primitive, entourée de remparts, abritant des habitations souvent plusieurs fois centenaires. En son centre, un château et son donjon, robustes et dominants, d’où l’on peut observer les environs.

Citadelle de Bragance
Citadelle de Bragance

Aux côtés du château, une des plus anciennes églises de la ville, l’église de Santa Maria. Elle témoigne de la relative jeunesse de Bragance, ne datant que du XIVe siècle, avec d’importantes modifications baroques, comme tant d’autres églises au Portugal…

La « Domus Municipalis » est un édifice enveloppé de mystère juste à côté de l’église. Dans la péninsule ibérique, il n’existe pas d’édifice civil de style roman plus ancien. Ni plus récent d’ailleurs, il semble être unique en son genre !

Domus Municipalis, avec derrière l'église de Santa Maria
Domus Municipalis, avec derrière l’église de Santa Maria

Nous ne savons pas s’il s’agit vraiment de l’ancienne mairie du Moyen Âge, où auraient eu lieu les réunions municipales. Nous ne pouvons être sûrs que d’une seule chose : la Domus Municipalis a servi de réserve d’eau pour la citadelle.

Aux yeux d’un roi du Moyen Âge voulant défendre son royaume de l’ennemi, l’importance militaire de Bragance est évidente. Pourtant, il n’y a plus de présence militaire à Bragance depuis 1979. Seul subsiste un musée militaire, installé dans le donjon.

Légendes et histoires

L’histoire de Bragance est constellée de légendes, parfois poétiques, le plus souvent sordides. L’une d’entre elles est liée au château, et à la « Tour de la Princesse ». C’est une histoire qui nous dit qu’avant même que Bragance ne soit Bragance, une princesse orpheline vivait avec son oncle, seigneur du château. Ne voulant pas épouser l’homme qu’on lui avait désigné, elle fut enfermée dans cette tour, jusqu’à ce qu’elle change d’avis.

Une autre histoire, moins connue, met en scène le plus célèbre des couples maudits. La légende raconte que c’est en l’église de São Vicente que le prince Pedro et la belle Inês sont devenus mari et femme, contre l’avis du roi. Nous connaissons la suite, Inês sera assassinée, elle était bien trop espagnole au goût des nobles portugais.

Aucune des deux histoires ne semble véridique, la tour ayant été construite des années plus tard, et Pedro ne se souvenant pas de la date exacte de son mariage…

Lire également : Le Monastère d’Alcobaça, tombeau de la Reine Morte

Musées de Bragance

Bragance aime les musées, et ne se limite pas à son musée militaire, loin de là. A deux pas du château, au cœur de la citadelle, se trouve le musée ibérique du masque et du costume. Un lieu absolument magique, où nous sommes plongés au cœur de la tradition du Carnaval, le vrai. Celui où l’on se déguisait pour faire fuir les mauvais esprits et attirer la fertilité, qu’elle soit celle des terres… ou des femmes.

Masque de Carnaval
Masque de Carnaval

Plus bas dans la ville se trouve une rue, nommée officieusement « la rue des musées ». C’est ici que l’on retrouve notamment le musée Abade de Baçal, sur l’histoire de Bragança et de Trás-os-Montes, ou encore le centre d’interprétation de la culture séfarade.

Les Juifs Portugais, on le rappelle, étaient très présents dans les grands centres urbains. A Bragance, ils étaient liés à la production locale de soie. Ce précieux tissu fut longtemps une fierté pour la ville, et son industrie majeure, aujourd’hui malheureusement disparue.

Gastronomie de Bragance

« Nous sommes ce que nous mangeons » dit l’adage. Vu ce que j’ai mangé dans les restaurants de la ville, j’ai bien envie d’être de Trás-os-Montes. Pour ceux qui aiment la viande et les châtaignes, c’est le paradis.

Mais la gastronomie régionale ne se limite pas qu’à cela. La carte du restaurant Solar Bragançano où nous avons déjeuné est variée et éclectique. Nous sommes loin du sempiternel « bitoque » aux frites et au riz !

Je garde encore un souvenir ému du « pudim Abade de Baçal », un dessert portant le nom d’un grand historien et archéologue local.

Gastronomie de Trás-os-Montes
Gastronomie de Trás-os-Montes

Une ville qui se redécouvre

Très liée au passé, Bragance est aujourd’hui en pleine mutation et rénovation. En puisant dans son histoire, la ville regarde vers l’avenir. Les anciennes ruines que l’on peut encore voir aujourd’hui dans la citadelle, ou dans les rues de la ville, ne seront plus que des mauvais souvenirs à l’avenir.

C’est d’un bon œil que j’observe le « alojamento local », le logement touristique, du moins à Bragance. De nombreuses ruines du centre-ville ont grâce à ça été rénovées, amenant des touristes à une ville qui en a bien besoin.

Ruines de la citadelle
Ruines de la citadelle

Autre signe de progrès, la mise en valeur de la rivière. Ce qui était il n’y a pas si longtemps un égout à ciel ouvert, la rivière Fervença, est devenue aujourd’hui une jolie promenade à faire en famille. On peut même y trouver la douce folie d’un riverain, qui s’amuse à reproduire en miniature les principaux monuments mondiaux et de la région !

En montant au sanctuaire de São Bartolomeu, au milieu des grandes antennes de télévision, on peut y contempler la plus belle vue de Bragance et des collines qui l’entourent. A proximité, une grande statue de Saint Benoit, saint patron du diocèse de Bragance-Miranda.

Villages de Bragance

La campagne autour de Bragance est riche de petits villages historiques et d’une Nature intacte. Le Parc Naturel de Montesinho en particulier préserve encore des loups, des cerfs ou des chevreuils ! A l’entrée du parc se trouve par exemple le village de Gimonde. Son pont, qui permet de traverser la rivière de « Onor », existe depuis la période romaine.

Rio de Onor

Si l’on continue de remonter le cours du Rio de Onor, on trouvera à l’autre extrémité du parc le village éponyme. Rio de Onor a longtemps été isolé du reste du pays. Il fallait de nombreuses heures aux villageois pour rejoindre Bragance, la route que l’on connait aujourd’hui n’étant autrefois qu’un mauvais chemin de terre. A cheval sur le Portugal et l’Espagne, les habitants des deux côtés de la frontière ont appris à vivre en communauté tout au long des siècles, presque en autarcie, loin des problèmes portugais ou espagnols.

Aujourd’hui, cette vie en communauté n’est plus qu’un souvenir, Rio de Onor vivant essentiellement du tourisme. En visitant le village, on comprend facilement pourquoi il avait obtenu en 2017 la prestigieuse dénomination « Merveilles du Portugal ».

Outeiro

De l’autre côté de la municipalité, à une vingtaine de kilomètres de Bragance, se trouve une immense église avec un style un peu particulier. Il y a plus de 300 ans, la statue du Christ de ce qui n’était alors qu’une chapelle se mit à saigner. Devenu un haut lieu de pèlerinage, la chapelle fut rapidement transformée en sanctuaire. L’église obtient son titre de basilique récemment, en 2014.

C’est surprenant de voir une telle église dans un si petit village, tellement loin de tout ! Son style détonne avec l’ambiance Baroque qui régnait lors de sa construction au XVIIIe siècle. Elle se voulait être un symbole revivaliste de la gloire passée portugaise, face à l’imposant voisin espagnol, tout proche, toujours menaçant. Les portugais n’oubliaient décidément pas qu’ils avaient été réunis de force à la couronne d’Espagne le siècle précédent…

Praça da Sé, Bragance, avec son Cruzeiro
Praça da Sé, Bragance, avec son Cruzeiro

Bragance, c’est ça. C’est le Portugal, c’est le symbole de l’indépendance portugaise, à la frontière du pays. Ce n’est pas pour rien que la dernière dynastie régnante du Portugal porte le nom de « Bragance » !

Sources


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