Egas Moniz recevant le prix Nobel
Egas Moniz recevant le prix Nobel

Le Portugal des doutores

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C'est une chose que l'on voit souvent, au Portugal : le respect pour les titres honorifiques. On entend des senhor engenheiro, senhor doutor, senhor professor... Pourquoi une telle importance du titre, au point de vouloir les falsifier ?


Autrefois, lorsque les études universitaires débouchaient systématiquement sur une belle profession bien rémunérée, on arborait fièrement le titre universitaire. Ce « Doutor », on le méritait, après avoir obtenu son doctorat. Il faut, de nos jours, 8 longues années d’études universitaires pour obtenir ce diplôme.

Autant dire que oui, après avoir bataillé tout ce temps, voire plus, on peut tenir à la marque de respect que confère le Docteur (Doutor en portugais) apposé avant son nom sur une carte de visite et même sur sa carte d’identité. C’est une marque de respect qui existe depuis le Moyen Âge et le début des universités, où un Docteur n’avait plus rien à apprendre, mais tout à enseigner. Il obtenait le droit d’être à son tour professeur universitaire.

La France a conservé cette habitude, il existe toujours des Docteurs en Droit, et surtout, en Médecine. Pour nous, personnes lambda, un Docteur est avant tout un médecin. Mais au Portugal, c’est un peu différent.

Doutor oui, mais avec un D minuscule ou majuscule ?

Dans les traditions étudiantes, est un « doutor » celui qui a terminé ses études universitaires. Notez, pas forcément un doctorat. Une simple licence peut faire de vous un doutor aux yeux de l’académie universitaire. Mais ce n’est en rien un Doutor, avec un D majuscule, titulaire d’un doctorat !

Terminer une licence ne donne aucunement le droit légitime de porter le titre de « Doutor » ni même de « doutor » en dehors de sa faculté. Mais bien sûr, comme certains aiment jouer sur l’ambiguïté, ils peuvent laisser se nommer de « doutor » lorsque quelqu’un qui ne le connait pas le nomme ainsi, par respect… et surtout parce qu’il ne sait pas quel est sa véritable formation.

Sur les cartes de visites, vous verrez des dr. devant le nom. Il s’agit de personnes qui n’ont en général qu’une licence, peut-être un master. Les « vrais » Doutores écriront soit Dr. (avec majuscule), soit carrément Doutor.

Il n’est donc pas intellectuellement honnête pour une personne « juste » avec une licence de se faire appeler doutor. Ni avec D minuscule, ni majuscule.

Professor Doutor

Les personnes titulaires d’un doctorat, et qui enseignent de fait dans un établissement supérieur, sont appelés de Professor Doutor. Ils sont, dans la hiérarchie académique, évidemment au plus haut. Et même parmi eux, vous trouverez des différences. Le Professor Catedrático est celui qui oriente toute un secteur d’études. En dessous, vous avez le Professor Associado, et finalement, le Professor Auxiliar.

Tous méritent largement d’être appelés de Doutor, si ainsi ils le souhaitent.

Curieusement, du moins dans la génération postérieure à la Révolution d’Avril, plus le rang hiérarchique est haut, et moins ces professeurs semblent tenir à être nommés par leur titre universitaire…

Engenheiro, monsieur l’ingénieur.

Ceux qui ont opté pour un cursus d’ingénieur, et qui ont terminé leurs études, peuvent être appelés d’ingénieurs, « engenheiros ». Il suffit, pour la plupart des cursus, d’une licence, soit trois années d’études.

C’est assez court, ce qui en fait un titre moins envié que le « Doutor » (avec le D). Mais, face aux autres « doutores » (avec le petit D), le titre est plus prestigieux. Oui, parce qu’un ingénieur, même simplement avec une licence, aura sans doute plus de prestige qu’une personne ayant obtenu une licence en gestion touristique.

Les ingénieurs, lorsqu’ils continuent leurs études pour obtenir un doctorat ont deux options.

Soit ils choisissent, par goût et peut-être modestie, de continuer à être des « engenheiros », soit ils optent pour être désormais des « Doutores », voire même des « Doutores engenheiros ».

Arquiteto, monsieur l’architecte

Si la confusion ne suffisait pas entre les Docteurs, les Ingénieurs et autres Professeurs, les Architectes aussi tiennent à leur titre académique, devenu professionnel. Vous verrez sur une carte de visite un petit Aq. devant le nom de la personne ayant obtenu un diplôme d’architecte au Portugal, ce qui correspond à un master, soit 5 années d’études.

Mestre

Ce titre, vous le verrez beaucoup moins souvent. Il est obtenu par ceux qui terminent un master (maîtrise en français, et mestrado en portugais). Il s’agit d’un titre qui circule presque exclusivement dans les universités. Autrefois, les titulaires d’un master pouvaient enseigner dans les lycées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, sauf quelques exceptions.

Egas Moniz recevant le prix Nobel
Le Dr. Egas Moniz recevant le prix Nobel. Il est celui qui a popularisé la lobotomie. Merci le sr. Doutor ! Etant médecin, son usage du titre est pleinement justifié.

Un Portugal des apparences

La recherche de respect, par un titre par lequel on devrait nous nommer est peut-être un des nombreux signes d’un pays humble, à la recherche d’honneurs. Ce n’est pas parce qu’une personne nous nomme de « senhor doutor » qu’il aura forcément plus de respect pour nous. Parfois, au contraire même, cette pomposité pouvant être associée à de la prétention.

C’est particulièrement vrai pour tout ceux qui n’ont pas fait médecine.

Il faut, quelque part, avoir un grand manque de confiance en soi pour insister sur ce titre. Le respect se gagne, il ne se demande pas.

Mais dans un pays d’apparences, parfois, pour exister, il faut avoir le titre. C’est ainsi que certains politiciens ont triché sur leurs titres universitaires ! On le voit régulièrement au Portugal, malheureusement.

On se souvient de Miguel Relvas, ancien ministre du gouvernement PSD, qui avait honteusement triché sur sa licence universitaire.

On se souvient également de José Sócrates, au cursus universtaire pour le moins mouvementé. Il avait réussit à obtenir un diplôme de « bacharelato » en ingénierie, mais qui ne lui permettait pas de s’afficher avec un titre d’ingénieur. Juste le titre d’ingénieur technique. Evidemment, la confusion dans les médias était grande, peu de personnes sachant faire la différence. Il obtint bien plus tard une maîtrise, le légitimant dans ses diplômes universitaires.

Il ne s’agit que de deux exemples très connus, mais c’est une généralité portugaise. Nous sommes dans un pays de « doutores » qui n’ont à peine que trois années d’études universitaires. De nos jours, où nos (très nombreux) jeunes diplômés croupissent au chômage, ces titres ne veulent plus dire grand chose. Ils seraient même un motif de honte !

Pour ma part, je m’en fiche du titre universitaire, vous vous en doutez bien. Eduqué en France, pour moi, les Docteurs me soignent, ils ont ma vie entre leurs mains. Tous les autres, je les appelle par madame ou monsieur.


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