Au cœur du Portugal, un village a résisté contre vents et marées aux chamboulements politiques de ces deux derniers siècles. Son couvent est l’un des derniers à avoir conservé des Sœurs au long de toute son existence, un magnifique symbole de résilience au Portugal.
Avec une famille originaire de la région, je connais bien Louriçal… de nom. Mais comme souvent, on ne fait pas trop attention aux merveilles à portée de main. Cette fois, j’ai voulu en savoir un peu plus sur ce village, à jamais lié aux soeurs Clarisses et leur fameux biscuit en forme de huit.
Sommaire
Louriçal, le village des lauriers
Nous sommes sur d’anciennes terres, peuplées depuis toujours. A proximité de Coimbra, Figueira da Foz ou Pombal, son nom nous renvoie aux temps où les lauriers étaient rois. Un « Louriçal », c’est une forêt de lauriers, un laurisylve. Autrefois majoritaires tout autour de la Méditerranée, les laurisylves ont progressivement disparu avec l’assèchement du climat. Seules quelques rares forêts subsistent encore, que l’on retrouve aux Açores et surtout Madère.
Louriçal était ainsi le pays des lauriers autrefois. Mais ce temps est bien révolu, les lauriers y étant aussi répandus qu’ailleurs. De ces temps reculés, il en reste le symbole, encore visible sur le blason du village.
La première trace écrite du village de Louriçal remonte à D. Afonso Henriques, en 1166. Le premier roi du Portugal concède les terres de Louriçal, réputé pour son air pur, au monastère de la Sainte-Croix de Coimbra.
Le foral de 1514
Au début du XVIe siècle, le roi D. Manuel Ier réorganise le territoire portugais, en confirmant ou en créant de nouveaux fors. Il s’agit d’administrer le territoire le plus efficacement possible.
Le for est un document juridique où sont inscrits les devoirs et privilèges d’une municipalité. Sa date d’attribution correspond ainsi à la fondation de la ville, symbole de son autonomie.
Louriçal n’est plus alors l’apanage du monastère de la Sainte-Croix. Désormais dirigée par la famille Menezes, seules deux paroisses composaient le territoire de la nouvelle municipalité : São Tiago, correspondant au territoire du village, et Mata Mourisca, une petite localité quelques kilomètres plus au sud.
Avec la réorganisation administrative du XIXe siècle, la modeste municipalité de Louriçal disparait. L’ancienne prospérité était bien finie, victime des coups portés à la région par les armées de Masséna sur ordre de Napoléon.
Le village est rattaché à Pombal en 1836, un peu contre nature. Les habitants étaient culturellement plutôt liés à Coimbra, pourtant bien plus distante. En 1855, la municipalité disparait définitivement. Louriçal n’est plus qu’un des villages de Pombal.
Madre Maria do Lado
Au début du XVIIe siècle, une jeune fille de bonne famille, Maria de Brito, originaire de Louriçal, décide de rentrer dans les ordres. L’arrivée d’un prêtre franciscain issu du couvent de Figueira da Foz à la paroisse du Louriçal lui permettra de réaliser son rêve. Très vite, la désormais « Maria do Lado » se fera remarquer par ses visions mystiques, qui en feront une adoratrice entièrement dévouée à Dieu.
La malédiction de Santa Engrácia
Au début de l’année 1630, l’église de Santa Engrácia à Lisbonne, proche du couvent des Clarisses de la capitale, est victime d’un sacrilège. Cette expérience est particulièrement traumatisante pour les lisboètes. Les habitants y voyaient la confirmation d’un très mauvais présage, une rumeur qui circulait dans la ville depuis quelques temps. Ce sacrilège est l’origine de la « malédiction » de Santa Engrácia. Cette malédiction explique populairement pourquoi les travaux de Santa Engrácia ne se terminaient jamais.
Maria do Lado, qui avait vu ce sacrilège lors d’une vision mystique au moment précis des évènements, va instituer en 1630 un Laus Perennis à Louriçal avec cinq autres soeurs. Il s’agit d’une adoration perpétuelle à Dieu, où les sœurs se relaient pour prier en permanence, pour « soulager » l’offense faite à Dieu lors du sacrilège de Santa Engrácia. Cette adoration du Saint-Sacrement est ensuite confirmée par la création en 1631 de la communauté des Recueillies Esclaves du Saint-Sacrement à l’initiative de Maria do Lado. La bonne sœur ne pourra pas prier longtemps : elle décède de maladie en 1632. Elle n’avait pas encore tout à fait 27 ans…
De fait, l’église de Santa Engrácia de Lisbonne sera terminée 334 ans plus tard. Il s’agit aujourd’hui du Panthéon National.
Le couvent du Louriçal
Le projet de construire un local approprié pour la nouvelle communauté religieuse survivra à Maria do Lado. La première pierre de l’église sera posée en 1640, à l’emplacement même de son lieu de naissance, dans les dépendances de la maison paternelle. En 1690 sur ordre du roi D. Pedro II, le couvent des Clarisses est fondé : le Couvent du soulagement du Saint-Sacrement du Louriçal, « Convento do desagravo do Santíssimo Sacramento do Louriçal ».
Louriçal n’était alors qu’un village, mais influent. Plusieurs familles nobles y étaient installées. Les Menezes, qui dirigeaient la ville, étaient aussi contes de Ericeira. Nobles ayant les faveurs du roi, ils seront élevés au marquisat en 1740, les Marquis de Louriçal.
Si aujourd’hui, l’église est si belle, nous le devons à une maladie princière. En 1700, le futur D. João V tombe gravement malade. Le prêtre de la maison royale à ce moment n’était autre qu’un frère de Maria do Lado. Le prince fit une promesse : si jamais il guérissait, il participerait aux travaux de construction du couvent. Le prince vivra encore cinquante ans, et tiendra parole.
En 1734, une nouvelle église est donc construite, celle que nous avons la chance de pouvoir visiter aujourd’hui. Sous ses traits austères à l’extérieur se cache un baroque généreusement décoré d’or et d’azulejos à l’intérieur.
Un couvent résistant
La vie des sœurs Clarisses, cloîtrées et entièrement dévouées à la prière aurait dû être un long fleuve tranquille. Mais même si l’on souhaite vivre en dehors du monde, parfois le monde nous rattrape. Le couvent connaîtra tout au long du XIXe et début du XXe siècles des troubles majeurs.
Les invasions napoléoniennes furent particulièrement destructrices à Pombal et sa région. Redinha, où se déroula la bataille éponyme en 1811, n’est qu’à quelques kilomètres du Louriçal. Les sœurs devront se réfugier jusqu’en 1815 à Lisbonne.
En 1834, le gouvernement libéral, et anticlérical, décrète la fin des ordres religieux au Portugal. Un coup de grâce pour bien des monastères et couvents du pays, qui encore aujourd’hui se paie dans la dégradation de notre patrimoine. Mais cette extinction était plus douce pour les sœurs. Il était stipulé que les ordres féminins pouvaient continuer leurs activités, jusqu’au décès de la dernière religieuse.
Pour contourner une fin annoncée, les sœurs du Louriçal continuèrent d’accepter de nouvelles sœurs. Pour réussir à rester dans la légalité, les sœurs étaient acceptées « temporairement », pour une période d’un an renouvelable. Elles ne comptaient donc pas parmi les sœurs « officielles », mais continuaient de faire vivre le couvent.
En 1910, avec les débuts de la République au Portugal, les sœurs Clarisses sont obligées de quitter leur couvent. Prohibées d’exercer leur Foi, spoliées de leurs installations, les dix-huit années suivantes seront difficiles pour les religieuses, tombées dans la clandestinité. Sans leur couvent, elles devront reposer sur l’aide populaire.
Les militaires vont dès lors occuper le couvent, pour peu de temps. En 1915, les installations sont laissées à l’abandon, à la merci des dégradations du temps ou humaines…
En 1927, les sœurs récupèrent leur couvent… grâce à un rachat aux enchères ! Elles pourront finalement revenir dans leur demeure en 1928, vivant depuis paisiblement, entre prières et restauration de leur couvent.
Pour rappel, la première République était fondamentalement anticléricale. Il ne faut pas oublier qu’elle était directement issue des mouvements anticléricaux secrets, notamment la Charbonnerie.
Au Louriçal, les « Clarisses du Soulagement » (« Clarisses do desagravo » en portugais) vivent toujours cloîtrées, dans la prière et la simplicité, comme toutes les religieuses de leur Ordre. Leur courage et résilience au long des épreuves qu’elles ont vécu sont exemplaires.
Terra dos dois temperos, le pays des deux assaisonnements
Le village est un lieu de traditions. Son nom peut se transformer en un jeu de mots, « Louriçal » sonnant comme « louro e sal », laurier et sel. La cuisine à Louriçal est connue de toute la région, souvent par l’entremise du couvent.
On le sait, les religieux, cloîtrés, peuvent passer beaucoup de temps à cuisiner et à inventer de nouvelles recettes. Que de bonnes choses nous devons aux moines !
Biscuit du Louriçal
La sobriété imposée par les difficultés du XVIIe siècle donnèrent l’idée aux sœurs clarisses du couvent de créer un biscuit très simple, mais nutritif et facile à conserver.
Farine, huile d’olive, eau et du ferment, c’est tout ce qu’il faut pour en faire ! Nous sommes loin des fameuses douceurs, bourrées d’œufs et de sucre issues d’autres couvents. Ici, c’est la modestie qui prime, en harmonie avec les principes des clarisses. Le biscoito de Louriçal, avec sa forme caractéristique en 8, est donc d’une simplicité à toute épreuve. Pourquoi cette forme ? Peut-être à cause de la prononciation de « biscoito », que l’on peut décomposer en « bisc – oito », « bisc – huit ».
L’origine du biscuit est peut-être encore plus ancienne, certains parlent même de la fondation du village, au XIIe siècle.
Avec l’expulsion des sœurs de leur couvent en 1910, la recette est transmise aux habitants du Louriçal. On le trouve désormais dans toutes les boulangeries du village, mais aussi dans les supermarchés régionaux. Pour les gourmands, ça se mange souvent avec son café ou une bonne infusion. Pour les encore plus gourmands, les pastéis do Louriçal, à base d’œufs et d’amendes sont une autre spécialité gastronomique qui raviront les papilles les plus exigeantes.
J’avais une idée du Louriçal, avant ma visite plus détaillée. Un village dynamique malgré son ancienneté. J’ai en plus découvert l’histoire des soeurs Clarisses, une histoire faite de résilience et de courage, un modèle à prendre en exemple de nos jours. Louriçal défend ses traditions, tout en se projetant vers l’avenir. Le biscuit en forme de 8 a de beaux jours devant lui !
Sources
- http://www.clarissaslourical.com/
- https://www.concelhodepombal.com/historialourical.htm
- https://www.snpcultura.org/vol_visita_patrimonio_lourical.html
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