Tanegashima Matsuri
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Premières armes à feu au Japon : une histoire d’amour luso-japonaise

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Lorsque pour la première fois, les Occidentaux arrivèrent au Japon, ils avaient avec eux des armes à feu. Ces Portugais gardaient jalousement le secret de fabrication de leurs mousquets à mèche, au grand dam du seigneur local. Mais une princesse japonaise finira par convaincre Fernão Mendes Pinto...


Nous avons au moins deux sources écrites de cette arrivée au Japon, plus ou moins concordantes, plus ou moins légendaires.

  • Une source portugaise d’une part, le livre « Peregrinação » de Fernão Mendes Pinto. Mendes Pinto nous y raconte, entre autres aventures, son arrivée au Japon.
  • Une source japonaise d’autre part, le Teppôki (« Chronique des armes à feu »), un livre où est décrit l’introduction de l’arme à feu au Japon.

D’autres sources existent, complémentaires, mais souvent trop éloignées temporellement des faits.

1543, des aventuriers portugais débarquent à Tanegashima

Pris dans une tempête, un grand bateau chinois fut forcé de s’arrêter au cap Kadokura, tout au sud de Tanegashima, une petite île tout au sud du Japon. Nous étions à la fin du mois d’août 1543, et lorsque les villageois tentèrent de s’approcher, des coups de feux retentirent du bateau.

Cap Kadokura
Cap Kadokura, île de Tanegashima, où accosta jonque chinoise.

Ces tirs ne visaient personne, n’étant que des coups de semonce, mais suffirent à maintenir éloignés les villageois. Ce ne fut que lorsqu’une poignée de marins chinois descendirent de la grande jonque et entrèrent en contact avec les Japonais que l’atmosphère se détendit. Ils purent communiquer dans un premier temps avec l’aide de l’écriture chinoise. En effet, grâce aux lettres communes de leurs écritures, les Japonais et les Chinois pouvaient tenter de se comprendre par écrit.

Barbares du Sud

Les villageois étaient très intrigués par deux des membres de l’équipage, si différents d’aspect. Barbus, avec de grands nez et habillés étrangement, ils avaient de très mauvaises habitudes du point de vue des Japonais. Ils mangaient avec les doigts et pas avec des baguettes, ne savaient pas lire les caractères chinois, parlaient fort… Les Portugais, et les autres occidentaux par la suite, se verront ainsi affublés du sobriquet « Barbares du Sud », « Nanban » (南蛮) en langue japonaise.

Pourquoi « du sud »? Parce que ces étrangers arrivaient systématiquement par le sud de l’archipel nippon, où se trouve par ailleurs Tanegashima. Des étrangers venus avant tout pour faire du commerce.

Art nanban
Sur cette illustration japonaise, des marchands portugais, accompagnés de nombreux africains. Dès que le Japon fut « découvert » en 1543, de très nombreux marchands, mais également des missionnaires catholiques, vinrent sur l’archipel.

Marchands d’armes

Ces premiers Portugais du Japon, trois hommes habitués à l’océan indien, avaient décidé un jour de faire une « escapade » à Ningbo, une importante ville chinoise où se trouvaient d’autres commerçants portugais. C’est ainsi que Francisco Zeimoto, António Peixoto et António da Mota se retrouvèrent dans cette jonque chinoise, naufragée à Tanegashima, loin de leur destination initiale. Ces aventuriers avaient quitté le contrôle de leur commandant Diogo Freitas, stationné au royaume de Siam, actuelle Thaïlande.

Illustration du port de Ningbo
Port de Ningbo

Peixoto ne semble pas avoir débarqué au Japon. Il était probablement décédé en mer, comme tant d’autres aventuriers avant lui.

Contrairement à ce qu’affirme Fernão Mendes Pinto dans son livre, tout laisse croire qu’il ne fait pas partie de ce premier contact avec les Japonais, même s’il est mentionné dans le Teppôki. Le problème, c’est que fin août 1543, Fernão Mendes Pinto n’était pas au Japon, mais en Birmanie…

Dans tous les cas, Fernão Mendes Pinto a véritablement été au Japon, très peu de temps après Francisco Zeimoto et António da Mota. Il était accompagné lui aussi de deux autres compatriotes, Cristovão Borralho et Diogo Zeimoto.

Ce n’est peut-être pas une coïncidence, ce deuxième Zeimoto, mais les sources sont muettes sur une probable parenté entre Diogo et Francisco…

Le secret de l’arme à feu

Quoiqu’il en soit, les Portugais n’étaient pas arrivés au Japon pour faire du tourisme, mais de l’argent. Ils n’hésitèrent pas à vendre quelques arquebuses ou mousquets au seigneur local, le jeune Daimyô Tokitaka Tanegashima. Après une démonstration où il s’essaya au tir, le chef japonais vit tout de suite l’intérêt militaire de ces « teppô », des ces armes à feu. Il allait enfin pouvoir reconquérir les terres que son grand rival lui avait confisquées !

Statue de Tokitaka
Statue de Tokitaka Tanegashima

Mais pour cela, il lui fallait beaucoup plus d’armes que ce que les Portugais pouvaient lui vendre. Il confia alors à un forgeron local, Yaita Kinbê Kiyosada, le soin de répliquer ces armes venues d’ailleurs.

Au niveau de l’aspect visuel, la reproduction des mousquets ne posa aucune difficulté à Yaita. Mais un détail l’empêchait de rendre opérationnelle son oeuvre : comment faire un filetage en acier dans le canon de l’arme et la vis associée, éléments fondamentaux du mousquet ? Sans cette technologie, impossible de faire une culasse résistante au coup de feu.

fusil tanegashima
Fusil tanegashima
Vis et canon
Détail de la vis dans le canon

C’est ici qu’entre en jeu une belle et triste histoire d’amour…

Le voyage de Fernão Mendes Pinto au Japon

C’est en venant de la grande ville de Malacca, possession portugaise depuis 1511, que Mendes Pinto se retrouve à son tour à Tanegashima. Cependant, ce voyage est volontaire : Mendes Pinto semblait savoir où il allait en embarquant dans un bateau corsaire.

Nous pouvons facilement imaginer que Francisco Zeimoto donna des indications à son parent (frère?) Diogo Zeimoto, compagnon de Mendes Pinto, les incitant à visiter Tanegashima !

L’auteur de Peregrinação nous indique que c’est pendant leurs temps d’oisiveté sur l’île japonaise que Diogo Zeimoto, pour passer le temps, tua 26 canards avec son fusil.

Les Japonais furent très impressionnés. Ils organisèrent une rencontre entre les Portugais et le chef local, le « Nautaquim » selon les termes de Mendes Pinto. Diogo Zeimoto offrit alors son fusil, et enseigna au prince l’art du tir et de la fabrication de la poudre.

Ce récit de Fernão Mendes Pinto ne semble pas incompatible avec celui de Francisco Zeimoto, Mendes Pinto ayant peut-être enjolivé son récit en y ajoutant celui de Zeimoto…

La princesse Wakasa

C’est une légende japonaise, racontée depuis des générations à Tanegashima, qui nous dévoile comment les Japonais apprirent à fabriquer l’ancêtre du fusil. Devant l’impossibilité technique de recréer un filetage sur ses répliques de mousquets, le forgeron Yaita a une idée. Il utiliserait les charmes de sa fille, Wakasa, pour séduire Fernão Mendes Pinto et ainsi le convaincre de livrer le secret de l’arme à feu.

Il faut dire qu’il avait bien vu que « Pinto San » regardait d’un air très intéressé sa fille…

Statue de Wakasa
Statue de Wakasa portant le fusil devant l’hôtel Araki, Tanegashima

Pour faire rentrer la légende dans le récit « officiel », nous pourrions estimer que Yaita tenta vainement de reproduire l’arme à feu après le départ des Portugais Francisco Zeimoto et António da Mota. Rappelons que les deux hommes étaient au Japon « par erreur », leur véritable destination étant la Chine ! Ils n’avaient ainsi pas dû rester guère plus de 6 mois… Ce n’est que lorsque Fernando Mendes Pinto arriva à son tour à Tanegashima que le forgeron put espérer à nouveau obtenir le secret de fabrication du mousquet.

Une belle légende, mais…

Wakasa, sûrement très belle, mais certainement pas princesse au vu de la profession de son père, se mit en couple avec Fernão Mendes Pinto. Était-elle tombée amoureuse de cet étranger si exotique, ou se sacrifiait-elle pour l’amour de son clan, nous ne le saurons probablement jamais.

Mendes Pinto avait beau être un aventurier incroyable, peut-être un grand guerrier et fin utilisateur de mousquet à mèche, il n’était pas forgeron. Comment satisfaire son « beau-père », qui voulait tant reproduire le mousquet à mèche ?

Mendes Pinto, que la légende promeut capitaine du bateau, quitta le Japon accompagné de Wakasa, pour trouver un forgeron portugais à Ningbo.

Il n’y a aucune mention de cette supposée histoire d’amour entre Mendes Pinto et la belle Wakasa dans Peregrinação. C’est la source japonaise, le Teppôki, qui nous l’indique.

Pièce commémorative, pile et face
Pièce de 200 escudos, commémorant les 450 ans de l’arrivée des Portugais à Tanegashima

Après plusieurs mois d’aventures, et accompagnés de leur fils, Wakasa ne supportait plus l’éloignement de son île natale. Revenue au Japon, elle se sépara de son fils, que Mendes Pinto refusait d’abandonner. Mendes Pinto avait promis à Wakasa qu’il reviendrait… ce qu’il ne fit jamais.

Une version différente affirme que de retour au Japon, Wakasa simula sa mort, pour ne plus avoir à accompagner Mendes Pinto dans ses aventures. Lors des fausses funérailles de Wakasa, l’aventurier portugais, connaisseur de la supercherie, n’aurait versé aucune larme…

Ancienne illustration japonaise d'un homme tirant avec une tanegashima
Un Japonais, tirant avec une tanegashima. Très vite, le nom de l’île fut donné de façon générique aux armes qu’elle fabriquait.

Prenons du recul sur le récit légendaire.

  • Est-il réaliste qu’un aventurier garde auprès de lui un très jeune enfant, connaissant les dangers et le taux de mortalité des expéditions maritimes du XVIe siècle ? Non.
  • Est-il réaliste qu’une mère puisse abandonner son fils aux dangers de la mer, pour qu’elle puisse vivre tranquillement sa vie dans son pays natal ? De mon point de vue portugais, non.
  • Est-il réaliste qu’un Portugais accepte une supercherie impassiblement, allant jusqu’à faire semblant dans des fausses funérailles, et rien en dire dans ses récits d’aventures ? Non également…

Essayons d’imaginer une histoire alternative, moins romancée ou légendaire. Oui, un Portugais eu un fils avec une japonaise de Tanegashima. Mais un aventurier reste un aventurier, et le Portugais s’en alla vers d’autres cieux, laissant au Japon cette histoire, en direction d’autres histoires…

Le fusil de Tanegashima

Chaque année en juillet, cette légende est ravivée lors du Teppô Matsuri, le festival du fusil de Tanegashima.

Tanegashima Matsuri
Reconstituteurs japonais lors du Tanegashima Matsuri. Ils représentent ici des samurais, armés de tanegashimas.

Des figurants, des acteurs nous font revivre cette période de l’histoire de l’île, sous les yeux émerveillés des spectateurs. Entre deux démonstrations de tirs de mousquets, l’histoire de Wakasa et de Fernão Mendes Pinto, première union entre un occidental et une japonaise, parents du premier « hâfu », enfant né de couple mixte…

Le succès du forgeron de Tanegashima à reproduire le mousquet fut total. Selon Mendes Pinto, en quelques mois, l’île disposait déjà de plus de 600 exemplaires fonctionnels. Dix ans plus tard, 300.000 fusils, connus sous le nom de « Tanegashima », existaient dans tout le Japon, révolutionnant à jamais la façon de faire la guerre sur l’archipel…


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