Fernão Lopes
Fernão Lopes

Fernão Lopes, le Robinson Crusoé portugais

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L'île de Sainte Hélène, bien connue des Français puisqu'elle a hébergé l'exil et la fin de vie de Napoléon, avait précédemment été le théâtre d'un autre exil, choisi cette fois, par le Portugais Fernão Lopes.


30 ans de solitude pour le premier habitant de l’île de Sainte Hélène

C’est une histoire hors du commun, même selon les standards des Grandes Découvertes. Celle d’un homme, tour à tour militaire, marin, mercenaire, chrétien, musulman et mystique. Fernão Lopes était tout cela et bien plus encore. Il ne doit pas être confondu avec « l’autre » Fernão Lopes, le célèbre chroniqueur des débuts de l’exploration maritime portugaise un siècle plus tôt…

Attention : La lecture de cet article peut ne pas convenir aux enfants et aux personnes sensibles.

Conquête maritime

Né quelque part lors de la transition du XVe vers le XVI siècle, peut-être à Lisbonne, Fernão Lopes embarque pour l’Inde en 1506, sous le commandement militaire de Tristão da Cunha et de Afonso de Albuquerque.

Tout comme Albuquerque, le terrible « Lion des Mers », Fernão est à la recherche d’aventures et de fortune. Il imagine recevoir de l’avancement dans sa carrière militaire dès son retour à Lisbonne, lui qui n’était qu’un simple écuyer. C’est lors de ce voyage que l’archipel le plus isolé du monde sera découvert, au beau milieu de l’atlantique sud. L’archipel porte aujourd’hui le nom de « Tristan da Cunha« .

La mission de Albuquerque était belliqueuse, contre la concurrence commerciale musulmane et l’hégémonie de l’océan Indien. Livrant une guerre sans merci contre les musulmans de l’océan indien, l’impitoyable Lion des Mers fait construire plusieurs forts pour sécuriser ses conquêtes.

Afonso de Albuquerque
Afonso de Albuquerque

C’est une période difficile pour les Portugais, malgré leurs succès militaires. Afonso de Albuquerque est chef impitoyable envers ses ennemis… et envers ses hommes. Tant et si bien qu’il se fait des ennemis, au sein de son propre camp. Ainsi, l’un des commandants de sa flotte, le galicien João da Nova, à qui l’on doit la découverte de l’île de Sainte Hélène en 1502, décide de quitter le Lion des Mers plutôt que de l’affronter. Mieux valait se battre en Inde que contre Albuquerque !

Là-bas, sous les ordres du vice-roi des Indes Francisco de Almeida, il s’illustrera dans la conquête de la ville de Diu. Le sort réservé aux prisonniers musulmans fut effroyable. Pieds et mains tranchés, jetés vivants dans le feu, éparpillés par des tirs de canons, la cruauté de Francisco de Almeida semblait sans limites.

C’était sans compter sur la cruauté d’Afonso de Albuquerque.

Les choix de vie de Fernão Lopes

Etablis à Goa, importante ville côtière indienne, de nombreux compagnons d’armes de Fernão Lopes passent à l’ennemi. Ils se rangent du côté indien, attirés par les richesses et le confort offerts par les musulmans ou hindous de la ville.

Fernão Lopes, qui avait la responsabilité d’une garnison à Goa, voit petit à petit l’autorité portugaise se réduire. Les hommes, durement éprouvés par tant d’aventures et de souffrances, se laissaient facilement tenter par une vie de plaisirs. C’était au point que certains des hommes de la troupe se marient à des femmes locales, d’autres se convertissant carrément à l’Islam.

Goa et le fort de Saint-Jacques de Banastarim, où se trouvait probablement Fernão Lopes
Goa et le fort de Saint-Jacques de Banastarim, où se trouvait probablement Fernão Lopes

Fernão Lopes ne tarda pas à succomber lui aussi.

Lorsqu’il arrive à Goa, Afonso de Albuquerque se retrouve face à la désertion de la troupe portugaise et à une résistance musulmane menée par Rasul Khan et Fernão Lopes. Albuquerque regagne par la force le fort portugais. Rasul Khan négocie leur reddition à condition que les déserteurs portugais aient la vie épargnée.

Les conséquences hors de toute mesure

La vie des « traîtres » devait être épargnée, certes. Mais rien n’avait été spécifié pour la torture…

Ils sont donc torturés. Fernão Lopes, de par sa position, servira d’exemple. Certains suppliciés y laissent leur vie. Fernão Lopes, après un an de prison, sera torturé en public pendant plusieurs jours. Il y perd ses oreilles, son nez, son bras droit, le pouce de la main gauche. Ses cheveux et sa barbe sont râpés avec des coquilles de palourdes…

Le châtiment était inédit, pour un noble, qui ne devait jamais être défiguré.

Cette torture était épouvantable, même pour les standards de l’époque. Tant et si bien que, voyant le peu de cas que le Lion des Mers pouvait faire de la noblesse de Fernão Lopes, certains Portugais commençaient à s’agiter…

Peut-être pour calmer ce qui aurait pu se transformer en mutinerie, Fernão Lopes est enfin libéré. Il ne sera plus jamais le même. Il errera dans les rues de Goa pendant plusieurs années, vivant comme un indigent, incapable de reprendre les armes ou de travailler.

Diogo Morgado et Suhani Ghandi
Diogo Morgado joue le rôle de Fernão Lopes, Suhani Ghandi celui d’une belle indienne dans la mini-série de la RTP « Fernão Lopes: A História de um Soldado Desconhecido »

Sainte Hélène

A la mort de Afonso de Albuquerque en 1515, Fernão Lopes décide de quitter l’Inde et de revenir au Portugal. Le roi du Portugal, Manuel Ier, avait fait savoir qu’il pardonnait les nobles Portugais qui avaient rejoint les musulmans.

Sur le trajet du retour, les bateaux portugais ont l’habitude de faire escale sur une petite île luxuriante et accueillante, l’île tropicale de Sainte Hélène. Et c’est à cette occasion que Fernão Lopes fait fausse compagnie aux marins portugais.

Il faut croire que Fernão ne voyait aucun futur pour lui au Portugal. Défiguré, handicapé, il ne s’attendait pas à un retour triomphal auprès des siens. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il était respecté par ses camarades de route, qui le recherchèrent sur l’île.

Les marins lui laisseront des vivres et des vêtements, et, surtout, de quoi faire du feu.

Il va alors vivre sur l’île volcanique de Sainte Hélène pendant de nombreuses années. Une petite île d’à peine 122 km². Ce que nous savons de Fernão Lopes vient surtout d’une source principale : Gaspar Correia, historien du XVIe siècle et auteur de « Lendas da Índia » (Légende de l’Inde).

Avec cette fuite, Fernão Lopes est devenu le premier habitant permanent de l’île, celle-là même qui a été rendue célèbre par l’exil de Napoléon.

Seul au monde

Sainte Hélène devient rapidement un point d’étape obligé de la route atlantique. Avec une eau abondante, les navires s’arrêtaient là pour faire des réserves. Autant dire que Fernão Lopes, bien qu’isolé comme nul autre homme auparavant, pouvait recevoir de la visite…

Fernão Lopes s’est construit un logement, tant bien que mal malgré son infirmité.

Un an plus après sa fuite, une escale fait s’arrêter un bateau à Sainte Hélène. Malgré la décision de Fernão Lopes de ne pas rencontrer l’équipage à cette occasion, les marins de passage, qui savaient qu’il était là, lui laissent quelques vivres comme des biscuits et du fromage. Ils lui laissent aussi une lettre l’assurant de leurs intentions pacifiques à son égard, et lui demandent de les laisser le rencontrer la prochaine fois. A cette occasion, un coq s’est échappé du navire, et deviendra le compagnon de Fernão…

Timbre de Sainte Hélène
Fernão Lopes et son coq.

L’ermite de Sainte Hélène

Petit à petit, la réputation de Fernão Lopes fait le tour du Portugal… et de la chrétienté. Tout le monde parle de cet ermite, vivant seul dans une petite île de l’atlantique sud, après avoir été martyrisé en Inde.

Au fur et à mesure des années, « l’ermite de Sainte Hélène » surmonte ses réticences personnelles dues à son corps estropié. Il fini par accepter de rencontrer et échanger avec les membres des navires qui font la route entre le Portugal et L’Inde. Les gens le considèrent comme un martyr, lui déposent des cadeaux, et repartent avec des produits qu’il cultive.

A chaque passage d’un navire, Fernão Lopes obtenait ainsi de nouveaux animaux et de nouvelles plantes à cultiver. Il s’était créé un magnifique petit coin à vivre… réputé pour les navires, toujours plus nombreux, qui y faisaient escale.

Plusieurs années plus tard, il repart finalement au Portugal, sur ordre du roi qui voulait absolument le rencontrer. Il revoit sa famille, visite le roi João III, puis va à Rome où il rencontre le pape. Au cours de l’entrevue, Clément VII écoute son histoire, il l’absout de son apostasie, et lui annonce pouvoir lui accorder un voeu. Fernão Lopes émet alors le souhait de retourner vivre sur l’île de Sainte Hélène.

Sur une lettre de Clément VII, João III lui accorde le droit de retourner à Sainte Hélène. Il embarque à nouveau pour la dernière fois. Pendant dix ans, il aura la compagnie d’un garçon Noir, qui se serait enfui, comme Fernão, d’un navire faisant escale.

Fernão Lopes décèdera en 1546, de très nombreuses années après son arrivée à Sainte Hélène.


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