Chien mort
Chien mort

J’ai fait face à un chien furieux : le problème des chiens de garde seuls

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Avertissement : ça finit mal pour le chien. C'est un témoignage de souffrance animale, et d'un côté sombre du Portugal que nous aurions préféré ne pas exister. Mon témoignage nous montre une tranche de vie, un dimanche matin à Porto, brusquement interrompue par l'agression d'un chien de garde.


Un matin comme tant d’autres…

Comme chaque fin de semaine, j’emmène ma fille à ses cours particuliers. Nous sommes à Carvalhido, un quartier de Porto. Habituellement le samedi matin, nous sommes venus un dimanche, à la demande exceptionnelle de la professeur.

Je laisse ma fille en face de la porte de ses cours, et part me garer dans la rue, à quelques mètres de là. Après quelques secondes à réfléchir à la balade que j’allais faire en attendant la fin des cours, je sors de la voiture. Je suis distrait, j’ai mon téléphone à la main, me demandant ce que j’allais bien pouvoir visiter pendant ma promenade.

En levant mes yeux, j’aperçois du coin de l’oeil un chien qui vient d’atterrir. Oui, atterrir, c’est le terme exact, l’impact de ses pattes sur le sol est lourd, il a visiblement sauté du premier étage de l’immeuble en construction. Le chien, un berger allemand, n’a pas sauté pour rien, il a un but, qu’il met à exécution immédiatement.

Combat de chiens !

Monsieur P., comme chaque matin, promène son labrador dans le quartier. Nous sommes dimanche, il se dit qu’il va faire une boucle un peu plus grande et profiter du bon temps après ces jours de pluie intense. Alors qu’il s’apprêtait à traverser la rue, un berger allemand, sorti de nulle part, comme tombé du ciel, attaque son labrador.

Le berger allemand semble avoir été entraîné pour attaquer immédiatement au cou. C’est là qu’il attaque le labrador, qui panique visiblement. Nous sommes ici face à une bête furieuse, s’attaquant à un chien paisible. Ce n’était pas vraiment un combat mais une agression !

Monsieur P., est désemparé. A-t-il la quarantaine? La trentaine? Je ne saurais dire, sa barbe fournie ne me laissant que peu de marge pour le deviner. Ce qui est sûr, c’est que monsieur P. est loin d’avoir la carrure d’un joueur de rugby, mais se démène de toutes ses forces pour dégager le berger allemand du cou de son labrador.

Moi? Je suis à deux mètres, et je suis sidéré. Où est le maître du berger allemand? Est-ce vraiment normal ce que je vois? Nous voyons souvent des chiens s’aboyer dessus, se renifler, est-ce que ce ne serait pas qu’un épisode d’une banalité affligeante entre deux chiens ?

Le doute est levé en une seconde : « aidez-moi s’il-vous plaît ! ». Le regard paniqué de monsieur P. vaut mieux que toutes les paroles du monde.

Ne réfléchis pas José, c’est maintenant qu’il faut agir !

Immobiliser un chien enragé

Monsieur P. tente d’immobiliser la tête du berger allemand, moi je m’occupe du corps. Je fais 1,83m pour 85 kg, je pense être assez lourd pour l’empêcher de bouger, mais l’animal est coriace. Un passant qui passait par là aussi écarte le labrador, et le met hors de la vue du berger allemand, qui décidément ne se calme pas.

Il faut dire que le labrador, inquiet pour son maître, n’arrête pas d’aboyer. Le labrador semble avoir été blessé au cou. Malgré la frayeur, malgré la blessure, il suit gentiment le passant et s’écarte. Nous restons seuls, moi et monsieur P., en train de maîtriser un chien qui ne cesse de se débattre. Je ne sais pas quoi faire, je n’y connais rien aux chiens.

Monsieur P., lui, a été mordu à la main, il saigne du pouce. Il utilise ses deux mains pour empêcher que le chien ne nous morde… ou les passants. Nous avons cette impression d’être presque en train de faire un rodéo tant il est difficile de maîtriser ce chien. Je suis pourtant assis dessus de tout mon poids, monsieur P. lui enlaçant le cou.

Le berger allemand a un collier en métal autour du cou. D’où vient ce chien?

J’appelle le 112, le numéro d’urgence. Ils sauront quoi faire !

Un appel à l’aide, un dimanche matin

Le 112 a décroché presque instantanément. Venez vite s’il vous plait, nous sommes deux passants qui avons immobilisé un chien fou au milieu de la rue !

Ils répondent sobrement : nous avertissons les services compétents.

Vous vous en doutez, pendant que nous sommes là, moi et monsieur P. assis sur un chien se débattant, les badauds s’arrêtent et viennent voir ce qui se passe. Chacun y va de sa petite phrase, de sa petite suggestion. Rares sont ceux qui agissent vraiment.

La plupart sont des personnes âgées, ou même très âgées, habitants majoritaires du quartier. Nous sommes ici dans un quartier populaire, loin des nomades digitaux, des touristes, et autres expatriés. Que des Portugais du coin. Qui s’étonnent de ce chien, qu’ils n’avaient jamais vu auparavant.

Un monsieur arrive avec une muselière et une laisse. Pas de chance, la muselière est trop petite. Moi et mon compagnon d’infortune, nous ne pouvons pas bouger. Nous devons rester assis sur ce chien, Dieu seul sait ce qu’il ferait si jamais il était libéré à nouveau. Il ne nous reste plus qu’à attendre de très longues minutes que les secours arrivent…

Un chien de garde

Ce long temps d’attente est le moment d’échanger avec les passants, habitants du quartier. Certains suggèrent de téléphoner à la police municipale, d’autres au chenil, à la SPA. Personne ne téléphone directement, tous me tendent le numéro pour que je le fasse moi.

Ah bon? C’est à moi de le faire? Je suis en train de tenir les pattes arrières du chien, j’ai mes fesses posées sur son corps. Soit, je téléphone. Personne ne répond au bout du fil. La police municipale me dit « c’est déjà pris en charge, ils arrivent ».

Une femme pompier suggère d’appeler les pompiers. Oui, j’ai déjà appelé le 112…

Ce chien, nous avons compris ce qu’il était : un chien de garde. Porto est une ville victime de nombreux vols. Autant le Portugal est un pays sûr pour les personnes, pour leur intégrité physique, autant le vol est quelque chose de très commun. Le vol sur les chantiers est très répandu.

Il existe au Portugal des services de surveillance de chantiers ou de bureaux, faits avec des chiens. L’entreprise laisse un chien de garde sur le chantier, pour faire peur aux voleurs.

Nous sommes visiblement sur un de ces chiens. Des chiens qui n’ont pas l’amour d’un maître, des chiens qui ne sont que des outils, le gagne-pain de ces entreprises. Sont-ils dressés ?

Toujours est-il que les chantiers ne sont pas tous forcément bien fermés et sécurisés. L’immeuble est encore en construction, et les fenêtres n’ont pas encore été posées. On imagine facilement que le chien, nouvellement affecté à ce chantier, soit devenu fou de rage en voyant un autre chien passer dans la rue.

Le berger allemand a donc tout simplement sauté du premier étage, si ce n’est le deuxième, pour attaquer le labrador de Monsieur P. !

La responsabilité de l’entreprise de surveillance est immense.

Un triste évènement

Le monsieur qui avait tenté de nous aider avec une muselière est revenu, avec une cordelette cette fois-ci. Peut-être pouvons-nous lui passer la corde autour de son collier, et l’attacher à un poteau?

Mais alors qu’il finissait de faire son noeud, un triste constat. Le berger allemand est mort. Je suis incrédule, monsieur P. aussi. Nous l’avons probablement étouffé, sans le vouloir. Il n’y a aucun doute sur le décès de l’animal, des excréments sont sortis, il ne respire plus.

Chien mort
Au milieu, le berger allemand. Il ne bougera plus jamais. En bas à droite, le labrador, recevant une caresse d’une passante. Il va bien, fort heureusement ! C’est une rue paisible de Porto. Vous devinez le chantier sur la droite, avec le nouvel immeuble en construction.

Nous sommes toujours entourés de badauds, toujours remplis de bons conseils. Une petite mamie nous suggère de retirer la corde, pour ne pas avoir encore plus d’ennuis quand les policiers arriveront. Allez savoir si le propriétaire du chien ne nous accuserait pas de l’avoir volontairement tué !

La femme pompier suggère plutôt de laisser la corde, pour le cas où le chien se réveillerait. Il a peut-être fait un arrêt cardiaque, mais ça peut repartir…

J’ignore les conseils. Je suis trempé de m’être débattu sur le sol mouillé avec un chien, que nous avons tué, involontairement. Monsieur P. est choqué, et moi j’ai encore les mains qui tremblent. Je ne suis pas spécialement amoureux des chiens, mais je me dis que le pauvre animal n’y est pour rien. C’est, comme toujours, la responsabilité de ses maîtres.

Quelle triste vie a eu ce chien, seul sur les chantiers. Était-il bien nourri? La triste conclusion sur sa vie, de par son manque de dressage, nous ramène à un fait : les Portugais n’aiment pas les animaux.

C’est facile de mettre tout le monde dans le même sac, et nous savons bien que ce n’est pas vrai pour tout les Portugais, Monsieur P. le prouve, d’ailleurs ! Son labrador, au poil soyeux, semblait mieux nourri et plus heureux que son maître ! Je vous renvoie à mon article de 2021, « les vétérinaires municipaux trouvent absurde le nombre d’abandons« . C’est un vrai problème au Portugal, et les hordes de chiens errants sont bien trop nombreuses…

Pendant cette courte réflexion sur la tristesse de la condition animale, je retire la corde du cou du chien. Inutile de compliquer ce qui va venir…

La police arrive

Au bout de 40 longues minutes, la police arrive enfin. Il s’agit de la police nationale. Je décline mon identité ainsi que monsieur P. Nous expliquons la situation, les policiers sont très compréhensifs. Mais je leur pose une question : vous avez ce qu’il faut pour maîtriser ce genre de situation ?

« Ah non monsieur, ce n’est pas nous, les services municipaux qui s’occupent des animaux ne vont pas tarder ».

Ah ok, donc nous étions supposés, au cas où le chien était encore vivant, de continuer de le retenir tant que les spécialistes, les vrais, n’étaient pas sur place… si j’ai bien tout suivi.

Les badauds, voyant la police, sont encore plus nombreux et curieux. Je ne me ménage pas pour expliquer aux passants la situation. Ni pour dire tout ce que je pense des entreprises de surveillance qui ne font pas le nécessaire pour que ça se passe bien.

Comme le disait une femme âgée, imaginez une seconde qui si, au lieu d’une personne de ma carrure qui passait par là, ça avait été elle, avec son petit chien? Ou bien, imaginez si c’était ma jeune fille de 11 ans?

Peut-être bien que nous avons évité quelque chose de bien pire. Peut-être bien que l’entreprise de gardiennage nous doit une fière chandelle. Alors lorsqu’un badaud suggère qu’il se pouvait que les maîtres du berger allemand nous attaque en justice pour avoir tué leur chien, monsieur P. a un rire nerveux.

Les services municipaux, enfin !

Depuis le début de l’agression canine et mon appel au 112, plus d’une heure est passée. La fourgonnette des services municipaux, spécialisés pour ce genre de situation arrive, finalement. Ils savent ce qu’ils font, ils ont l’habitude, malheureusement j’ai envie de vous dire.

Voiture des services municipaux
Les services municipaux sont équipés, mais… sont arrivés bien trop tard. Nous savons que nous sommes un dimanche matin, mais imaginons une seconde que le chien avait attaqué un passant qui ne pouvait pas se défendre ?

Le berger allemand est pucé. Avec leur lecteur, ils obtiennent rapidement le numéro de téléphone du maître. Les services municipaux lui demandent sobrement ce qu’il veut qu’ils fassent. Venez-vous récupérer le corps de votre chien, ou bien préférez-vous que nous nous chargions de le retirer de la voie publique, et d’incinérer le corps? Ça vous en coûtera 25 euros.

« Vous pouvez-vous en occuper, je n’ai rien de prévu pour ce genre de situation ».

Une triste fin

Ainsi s’achève la vie du berger allemand. Pas une once de compassion, de personne. C’était un jeune chien mal dressé, sans maître à protéger, sans personne avec qui jouer. Le plus désolé de sa situation, c’était encore monsieur P. qui pourtant venait d’être mordu. Un amoureux des animaux, un vrai, qui était encore en état de choc, mais rassuré que son labrador soit bien portant.

Il est parti, sur la suggestion de la police, se faire examiner à l’hôpital. Le chien a beau être pucé comme l’oblige la loi, et sûrement vacciné, nous ne sommes jamais trop prudents. Il s’agit aussi pour monsieur P. d’avoir une preuve médicale de sa blessure.

J’ai demandé aux policiers si une telle chose allait rester impunie. Si je pouvais faire quoique ce soit, pour que, à l’avenir, ce genre de choses ne se reproduise plus. J’ai été rassuré : la police va faire son rapport, et sera donné à qui de droit afin que l’entreprise de surveillance canine soit mise face à ses responsabilités. Monsieur P., lui devrait pouvoir au moins se faire rembourser au minimum de ses soins et ceux de son labrador.

Lorsque ma fille, revenue de son cours, a vu le cadavre du berger allemand (sa race de chien préférée), j’ai eu du mal à tout expliquer correctement. Trop de choses à dire. Trop d’émotions.

Ce texte, je viens de l’écrire sur le coup de l’émotion. Il faut que ça sorte, tout de suite. Je ne pouvais pas garder cela pour moi. Mais j’ai une conclusion : je n’ai jamais voulu avoir de chien. J’ai trop de respect envers cet animal, que je n’apprécie pourtant pas, pour l’enfermer dans un appartement. Si vous n’avez pas les moyens d’offrir une vie décente à un animal domestique, abstenez-vous d’en avoir.


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