Les Français connaissent mal les Portugais. Il faut dire que le portrait du Portugais est, en France, souvent fait de clichés. Florian, un Français - de parents français - nous raconte ce qu'était un Portugais pour lui, avant la création avec son compère Michael Mendes de Frantugal.tv...
La communauté franco-portugaise est-elle un radeau qui croise entre les côtes de la France et du Portugal à cause d’un déficit de fierté collective ?
Par Florian Pittion-Rossillon, Frantugal.tv
Sommaire
La question est cash, à la hauteur de mon étonnement et du respectueux attachement que j’éprouve à l’égard de cette communauté amie.
Un trésor caché
En septembre 2020, j’ai commencé à travailler avec Michael Mendes sur un projet de media qui est devenu Frantugal.tv, une chaîne sur abonnement lancée le 25 avril 2021. Français né de parents français, originaires du Doubs et du Cantal, j’ai été immédiatement captivé par cette vision : élaborer et diffuser de nouveaux codes de narration de l’identité des franco-portugais et des Portugais de France.
En effet, cette communauté dont j’ai toujours vécu la proximité m’est alors apparue comme un des trésors cachés de la France. Car elle est tellement bien intégrée économiquement, socialement et culturellement, que le récit de son arrivée et de sa vie en France est assez silencieux. Trop.
Au risque que son identité soit estompée, aquarellisée, alors même qu’elle est un pilier de la communauté nationale. Alors j’ai décidé de collaborer activement à Frantugal.tv, le media qui popularise les nouveaux visages et les beaux parcours de la diaspora, en célébrant la modernité du Portugal, et en tendant la main à ses amis, les « lusofans ».
Récit collectif
J’écris ce qui suit depuis un angle et une histoire personnels, et mon point de vue n’a pas vocation à avoir force de loi universelle. Je le crois tout de même représentatif de celui de bon nombre de français de ma génération (j’ai 48 ans). Ci-dessous je questionne le sujet pour trouver des voies pour l’avenir plutôt que de proposer des explications pour lesquelles je n’ai pas le matériau.
Donc, en synthèse : je m’étonne devant la difficulté de l’élaboration d’un récit collectif, positif et partagé, de l’intégration des portugais en France.
Né dans les Yvelines en 1973, j’emménage avec mes parents à Maurepas en 1977. Cette commune fait partie de la Ville Nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines, une agglomération sortie de terre au milieu des champs. Les Villes Nouvelles (comme Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, Évry, Sénart, Corbeil-Essonne) sont nées d’une vision administrative : amener les villes à la campagne en Île de France.
Loger la population de banlieue dans des logements neufs, dans des agglomérations disposant aussi d’une offre de loisirs et de bassins d’emplois. Ainsi, Maurepas, qui en 1962 est un village de 352 habitants, est en 1982 une ville qui en compte 18764. L’agglomération de Saint-Quentin en Yvelines compte 163 605 habitants en 1982 (228 312 en 2018), là où 20 ans auparavant il y avait des champs.
Conséquence simple : tous les habitants sont arrivés en même temps. Pas d’anciens ni de nouveaux. Tout était neuf : logements, équipements, commerces. Tout cela fleurait bon une certaine utopie urbanistique, dans l’atmosphère, à l’époque suave, du matérialisme des années 70 et 80. On est bien loin des conditions de vie du bidonville de Champigny, une autre histoire de la banlieue parisienne, qui s’est terminée en 1973 et que trop peu de gens connaissent.
Choc a posteriori
Dans la cour de l’école primaire se déroule l’expression positive d’un melting pot, dans lequel les franco-portugais sont bien représentés. Tout au long de ma scolarité, j’ai eu des camarades d’origine portugaise.
Anecdote : en CM2, c’est Victor de Freitas qui m’a appris à parler le verlan alors en plein boom (nous sommes au printemps 1984). Big up Victor !
Comme tout le monde a le statut de nouvel arrivant, puisque la ville vient de sortir de terre comme un champignon, alors dans la cour de récré, tous les enfants narrent les origines de leurs parents. A ce jeu-là on entendait toujours les mêmes. Oui oui. Qui ça ? Les bretons ! Les Yvelines sont sur le chemin entre la Bretagne et Paris, il y a pas mal de bretons… Toujours généreux en récits bien orientés sur la pluie et le granit de leur Bretagne chérie, ceux-là.
Et les franco-portugais dans tout ça ?
Un certain silence farouche avait à mes yeux nimbé le Portugal d’un voile de mystère. Un pays si loin si proche. En cette époque pré-internet, l’information est rare ou en tous cas lointaine, pour un enfant en école primaire. Et je n’ai pas eu le réflexe de consulter un atlas ou de questionner mes parents ou grands-parents. Ceci dit, ce qui était un petit angle mort dans les discussions n’était aucunement problématique entre camarades, puisque les vrais sujets, c’étaient les billes, le vélo et le foot.
Autrement dit, dans cet environnement tranquille de grande banlieue sans histoires, rien ne m’amène à avoir une réflexion sur le sujet de la communauté franco-portugaise. La prise de conscience a lieu bien plus tard : en 2020.
C’est quand Michael Mendes me parle de son projet de media pour et par la communauté que je ravive mes souvenirs. Et constat a posteriori que, dans ma cour de récré des années 80, les camarades franco-portugais étaient systématiquement taiseux.
Je comprends donc plus de 30 ans après que mes camarades de l’époque participaient beaucoup à la vie du collectif, et pour autant se mettaient en retrait dès qu’il s’agissait d’évoquer leurs racines, l’histoire de leurs familles.
Choc a posteriori.
Décision : le récit de l’intégration de cette communauté qui est un des trésors cachés de la France doit être porté à la connaissance d’autres membres de la communauté nationale.
La pudeur taiseuse
Début du projet Frantugal en septembre 2020, des dizaines de rendez-vous s’enchaînent. Et à chaque fois la question m’a été posée, sous une forme ou sous une autre : « Que faites-vous dans ce projet ? ».
Beaucoup de franco-portugais et de portugais s’étonnent en effet de ce qu’un monsieur avec mon nom et ma tête (oui ça se voit que mes grands-parents ne viennent pas de l’Algarve) s’investisse professionnellement dans un projet dont la raison d’être est de valoriser leur communauté.
Bon. Conclusion intermédiaire personnelle : il serait temps qu’on dise aux franco-portugais qu’on les aime. Et aussi qu’ils acceptent qu’on leur dise !
Voilà comment est né mon questionnement au sujet du silence de la communauté. Car ce silence ne résout rien, et d’ailleurs, quel problème est-il sensé résoudre, ou au moins masquer ? Je n’ai pas de jugement sur ce silence. La pudeur taiseuse paysanne, je la comprends, je la respecte, je la connais aussi par mes racines familiales (Cantal).
« Oui mais »
Le vrai problème, finalement, n’est pas tant ce silence répandu comme une loi invisible. Non, ce que je questionne vraiment, c’est ce « Oui mais » qui surgit régulièrement quand est évoquée la possibilité de raconter positivement la vie de la communauté franco-portugaise.
Qu’est-ce qui nourrit ce réflexe du « Oui mais » quand il s’agit de se mettre en action collectivement pour se raconter avec de nouveaux récits, portés par de nouveaux visages ? Pourquoi est-ce que la génération des franco-portugais de 20 ans devrait perpétuer l’injonction au silence ?
Et si on faisait simple ?
- Rendons hommage au courage des anciens, qui furent les immigrés des années 60 et 70.
- Racontons les ambitions et les parcours dans leur variété, sans avoir de compte à rendre aux clichés et au conformisme.
- Disons aux jeunes franco-portugais de 20 ans qu’ils peuvent être fiers de cet héritage qui, indiscutablement, vaut une place de choix à leur communauté dans le cœur des français.
- Et invitons ces jeunes, et leurs aînés, à se raconter fièrement en tant que luso-descendants – qu’ils soient bilingues portugais ou pas.
J’espère maintenant que ma présence au sein de Frantugal.tv est plus compréhensible.
Florian Pittion-Rossillon, Frantugal.tv
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