Lorsqu'un portugais voit son drapeau, un sentiment indéfinissable le saisit. Peut-être un mélange de respect, de joie et bien sûr, de patriotisme.
Il faut dire qu’il raconte toute l’Histoire du Portugal, depuis le premier roi Alphonse Ier à la République.
Sommaire
Avant le drapeau, un symbole royal
L’origine du drapeau remonte au Moyen Âge. Les unités militaires utilisaient déjà depuis la nuit des temps des signes de reconnaissance sur leurs boucliers. Ceux qui partaient combattre l’ennemi musulman arboraient ainsi une croix, symbole de reconnaissance chrétien.
C’est dans ce contexte de croisade en terres ibériques que Henri de Bourgogne vient prêter main forte au roi de Léon et Castille. La croix qu’il utilise est ainsi similaire à celle des croisés partis combattre les musulmans en Terre Sainte.
Les insignes royales correspondaient au royaume, et par conséquent à l’état. Alphonse Ier (Dom Afonso Henriques), en choisissant la croix de son père Henri comme emblème, le faisait aussi pour son royaume. Ce fait sera une constante dans toute l’histoire de la monarchie portugaise.
Avec le premier roi du Portugal, il n’existait pas encore d’emblème portugais unifié, comme l’attestent les différents sceaux utilisés par Afonso Henriques.
Ainsi, on pouvait utiliser un symbole différent sur un document officiel, sur un bouclier, sur un château…
Le premier drapeau du Portugal, la croix de Afonso Henriques
Selon un historien portugais du XVIème siècle, Duarte Nunes de Leão, Afonso Henriques avait sur son bouclier une « simple » croix bleue sur fond blanc. Il n’existe pas d’iconographie pouvant confirmer ses dires, les premières représentations des étendards portugais datant du XIVème siècle. Duarte Nunes est arrivé à la croix bleue sur fond blanc par déduction, somme toute logique au vu du contexte historique.
Le choix de la couleur bleue n’est pas anodin. Au XIIème siècle, on venait à peine de commencer à maîtriser la production d’un pigment bleu à base de pastel permettant sa généralisation dans les milieux aisés. C’était une couleur à la mode, pour ainsi dire.
Le bleu nous rappelle également que Afonso Henriques était issu d’une branche cadette de la dynastie Capétienne, la dynastie de Bourgogne. Au XIIème siècle, les Capétiens avaient choisi la couleur bleue pour les représenter.
A cette même période, l’héraldique était en train de naître. Il s’agissait pour les chevaliers, dont on ne voyait plus le visage sous leurs heaumes, de se faire reconnaître, en peignant sur leurs boucliers un graphisme qui leur était propre. Très vite popularisé lors des tournois, l’héraldique se répand dans toute l’Europe, et ce qui n’était qu’un simple signe de reconnaissance devient tout un Art.
L’emblème de la monarchie portugaise va ainsi évoluer, pour être bien plus qu’une simple façon de se reconnaître entre chrétiens.
Les besants
Pour affirmer l’indépendance du Portugal face à Alphonse VII roi de Léon et Castille, Afonso Henriques aurait décidé d’ajouter à la croix bleue des petits disques, représentant des deniers, dinheiros, la monnaie alors en vigueur.
En héraldique, les disques de petite taille sont nommés « besants ». Cette inclusion de ce symbole sur l’étendard du nouveau roi est un symbole très fort. Il s’agit d’affirmer la capacité de Afonso Henriques de battre sa propre monnaie, un privilège réservé aux rois.
A noter que cette explication, bien que réaliste, n’est arrivée que quelques siècles plus tard.
L’inclusion de besants sur un bouclier, faite de clous d’argent, avait également l’avantage de renforcer la solidité de l’arme défensive. n’oublions pas, nous sommes en présence d’un roi guerrier et conquérant.
Les deniers et le miracle de Ourique
C’est dans les champs aux alentours de la petite ville de Ourique en Alentejo qu’eu lieu la bataille fondatrice de l’indépendance du Portugal en 1139. Afonso Henriques y affronta les troupes musulmanes, en bien plus grand nombre, et en sorti vainqueur. Cette retentissante victoire fut telle qu’il s’estima digne d’accéder au titre de roi.
Cette victoire fut considérée comme un miracle par les moines de Alcobaça, deux siècles plus tard. L’occasion pour eux de raconter une belle histoire, à l’origine de la légende du miracle de Ourique.
Le futur roi aurait eu, avant la bataille, la vision d’un ange lui promettant la victoire. Il s’agissait de l’ange gardien du Portugal, une justification divine pour l’indépendance du pays. Pour commémorer cette victoire, Afonso Henriques disposera 30 besants sur la croix bleue, répartis en 5 écussons.
Le nombre de 5 écussons représente symboliquement le nombre de rois Maures tués au combat à Ourique. Les 5 besants dans chaque écusson représenteraient les 5 plaies du Christ.
Le total de 30 besants du drapeau représentent pour leur part les 30 deniers d’argent que Judas accepta pour trahir Jésus.
C’est une belle explication des moines de Alcobaça, mais très probablement erronée. Lors des premières années de la nation portugaise, il n’y avait pas encore de nombre fixe de besants ni même d’écussons.
1185 : les Quinas de Sancho I
Les Quinas, premier symbole royal, est parfaitement attesté. Ce sont les écussons en croix parsemés de besants. On les voit notamment sur les premières pièces d’or portugaises, datant de Sanche Ier (Sancho I en portugais), deuxième roi du Portugal et fils de Afonso Henriques.
Ici aussi, nous avons une belle histoire pour raconter l’origine du premier symbole authentiquement et exclusivement portugais.
Sancho I avait eu l’honneur de recevoir de son père, le bouclier de celui-ci. Mais du bouclier, il ne restait pratiquement plus grand chose. Subsistait encore quelques morceaux de cuir bleu, retenus par les besants, formant ainsi les écussons, les Quinas.
1245 : les châteaux de l’Algarve
En cette année fatidique de 1245, une grave crise secoue le pays, qui n’a alors qu’un siècle d’existence. Le roi Sancho II, en conflit avec l’Eglise, est démis de son titre royal par le pape. Son frère, Afonso III lui fera la guerre, et deviendra régent puis roi officiel du Portugal à la mort de Sancho II en 1248.
Afonso, qui n’était pas destiné à devenir roi, s’était marié à Mathilde de Dammartin, comtesse de Boulogne. Par conséquent, il était parti vivre en France, à la cour de Blanche de Castille. N’étant pas l’aîné de sa famille, il devait modifier son blasonnement pour se faire reconnaître individuellement. Selon l’héraldique, il devait ainsi ajouter un élément qui lui était propre.
Il choisit d’entourer les Quinas par une bordure rouge, parsemée de châteaux, signifiant ses origines castillanes de par sa mère.
En devenant roi du Portugal, il aurait dû en principe reprendre les armes officielles du royaume, sans la bordure rouge. Afonso III ne l’a pas fait, ce qui reste un mystère. Néanmoins, l’historiographie postérieure associa ces châteaux supplémentaires à la conquête définitive de l’Algarve aux musulmans, datant de 1249.
Le chroniqueur du XVème siècle Rui de Pina nous raconte ainsi que les châteaux représentaient les châteaux capturés aux musulmans pendant la conquête de l’Algarve. Même si aujourd’hui, nous avons 7 châteaux représentés sur le drapeau, ce nombre n’était pas encore fixé sous Afonso III.
Crise dynastique de 1385
Lorsque Jean (Dom João), maître de l’ordre religieux militaire de Aviz monte sur le trône, la succession dynastique est brisée. En effet, João est un fils illégitime de Pierre Ier (Dom Pedro I), et arborait par conséquent un blason différent. Il ajouta au blason la croix de son ordre, aux terminaisons fleuries, que l’on observe désormais sous forme de fleurs de lys vertes.
Son pouvoir, contesté de par son illégitimité, est stabilisé après l’éclatante victoire sur les troupes espagnoles de 1385 lors de la bataille de Aljubarrota.
1485 : les armoiries portugaises modernes
Dom João II, selon Rui de Pina son contemporain, décida de mettre au goût du jour l’emblème national. Il retira les fleurs de lys, qui n’étaient pas représentatives de l’identité nationale selon lui. Il établit la disposition verticale des Quinas. Les deux Quinas « couchées » précédentes pouvaient être mal interprétées, soit comme étant un signe de défaite, soit comme un signe d’illégitimité. Finalement, il fixe définitivement le nombre de besants par Quina à 5, en représentation des 5 plaies du Christ.
Les Quinas nationales obtenaient ainsi leur forme définitive, encore en vigueur de nos jours.
Ce symbole sera, avec les grandes découvertes maritimes portugaises, porté aux quatre coins du monde.
L’Ordre du Christ
Henri le Navigateur, maître de l’ordre du Christ, décida d’investir ses revenus dans l’exploration maritime. Intimement liée à l’expansion de la Foi chrétienne, l’ordre avait son emblème représenté sur les voiles des navires. Ce n’était pas alors un emblème à proprement parler national.
La croix de l’ordre sera pourtant omniprésente, et sera petit à petit intégrée aux symboles nationaux. Elle ne fera pourtant jamais partie du drapeau portugais.
1495 : la Conquête Maritime
L’avènement de Dom Manuel I coïncide avec l’âge d’or du Portugal. Petite nation par le nombre d’habitants mais grande par sa culture et sa richesse issue du commerce international, les symboles portugais évoluent.
Le roi Manuel ajoutera une couronne « ouverte » au blason, symbole de la monarchie. Le format carré de l’emblème portugais est abandonné au profit d’un format en forme d’écu.
La sphère armillaire de Dom Manuel
En parallèle, Manuel Ier utilisait comme symbole personnel une sphère armillaire. Cet instrument scientifique pour étudier le positionnement des astres était intimement associé à la conquête maritime.
Outre la conquête maritime, la sphère armillaire pouvait être interprétée comme un signe du divin. Par la sphère, on affirmait que le roi Manuel Ier était l’élément de liaison entre Dieu et la Terre, légitimant son pouvoir temporel.
1521 : écu portugais
Le roi Jean III (Dom João III) apporta lui également son lot de modifications, suivant la mode de son époque, la Renaissance. L’écu, qui terminait en pointe jusqu’à alors (on dira « écu français ancien » en héraldique), passe à une forme arrondie, l’écu portugais (ou espagnol ou encore flamand).
Du fait de l’expansion portugaise des XVème et XVIème siècles, nous pouvons retrouver le blason du Portugal dans différents endroits du monde. C’est notamment le cas de la ville de Ceuta, autrefois portugaise.
1578 : la couronne fermée de Sébastien
Obsédé par la conquête du Maroc, Sébastien I, le fameux « Dom Sebastião », fit une modification a priori mineure, mais lourde de symbolisme. La couronne du blason sera désormais fermée.
Pour la première fois, il semblerait que le drapeau soit rectangulaire sur fond blanc, contrairement à ses prédécesseurs, carrés.
Il s’agissait de renforcer l’autorité royale, avec la conquête du Maroc et d’obtenir par conséquent un titre impérial. Le désastre de Alcácer Quibir, connue en français sous le nom de la « Bataille des Trois Rois » anéantit les prétentions portugaises.
Malgré la domination espagnole qui suivit, les armes portugaises furent conservées à l’identique. En revanche, lorsqu’il s’agissait de représenter l’ensemble de l’Union Ibérique, le souverain espagnol disposait d’armoiries spécifiques, où se trouvait le blason du Portugal en très bonne place.
Changements esthétiques
A partir de la Restauration de 1640, les changements apportés au blason seront esthétiques jusqu’au XIXème siècle. Le retour de l’indépendance marque également le retour de l’écu portugais, à la pointe arrondie.
1816 : Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves
Avec la fuite de la monarchie portugaise au Brésil face aux troupes napoléoniennes, la colonie d’alors acquis un nouveau statut, celui de royaume, à l’égal de celui du Portugal. Le nouveau royaume brésilien arbore désormais comme blason une sphère armillaire, déjà emblème officieux du Brésil depuis le XVIIème siècle. C’était l’emblème arboré par les bateaux qui faisaient la route du Brésil.
Le drapeau de cette éphémère union de royaumes voit pour la première fois la sphère armillaire associée au blason portugais de façon officielle.
Ce nouveau drapeau ne durera que jusqu’à la mort du roi Dom João VI en 1826. A ce moment, le Brésil était indépendant depuis 1822. Le Portugal revient alors à son drapeau habituel, sans la sphère armillaire.
1830 : le drapeau monarchique bleu et blanc
La Révolution Libérale et conséquente victoire des libéraux de 1820 vit au Portugal l’avènement de nouvelles couleurs nationales. Désormais, les couleurs bleue et blanche étaient adoptées, grâce à une décision des Cortes de 1821, le premier parlement moderne portugais. Elles ne seront pourtant pas encore présentes dans le drapeau national.
Avec les atermoiements de la Guerre Civile qui suivit (1828-1834), chaque faction adopta des couleurs différentes. Les libéraux conservèrent le bleu et blanc, avec à leur tête la reine Marie II (Maria II), appuyée par son père Pierre Ier, empereur du Brésil (Pierre IV du Portugal). Avec eux, la bourgeoisie et la franc-maçonnerie. Les opposants conservateurs et absolutistes de Michel Ier (Miguel I) arboraient le drapeau sur fond blanc exclusivement, symbole du retour à la monarchie absolue. Avec les absolutistes, le peuple misérable et l’église catholique.
En 1830, la monarchie portugaise libérale retranchée aux Açores adopta par décret le drapeau qui l’accompagnera jusqu’au début du XXème siècle. En 1834 avec la victoire définitive des libéraux, le drapeau bleu et blanc s’impose sur l’ensemble du territoire portugais.
1910 : drapeau de la République Portugaise
Lors de la proclamation de la République en 1910, une des premières décisions concerna le remplacement des drapeaux nationaux. Provisoirement, on remplaça les couleurs nationales bleue et blanche par le vert et le rouge.
Une commission fut réunie afin de créer de nouveaux emblèmes nationaux. Ainsi, l’ancien hymne national, « Hino da Carta », composé par le roi Pierre IV du Portugal fut remplacé par l’hymne actuel, « a Portuguesa ». De même, le drapeau pris définitivement les couleurs verte et rouge, en remplacement du blanc et bleu de la monarchie libérale.
En remplacement de la couronne, la commission adopta la sphère armillaire. La sphère représentait les territoires coloniaux portugais et les Grandes Découvertes portugaises.
Les couleurs actuelles furent adoptées en 1911 à l’issue d’un grand débat, à l’instigation de la commission. Fallait-il conserver le drapeau original, en ne retirant que la couronne du blason ? Ou bien fallait-il y insuffler les couleurs du Parti Républicain et du carbonarisme portugais pro-maçonnique ?
Rappel : l’assassinat du roi Carlos en 1908 fut l’oeuvre de révolutionnaires de la Carbonária portugaise.
Le choix final, on le connait. Plusieurs années après l’adoption des couleurs rouge et verte, on inventa une explication plus noble au choix de ces couleurs. On dira désormais que le vert représente l’espoir et le rouge, le sang versé par les patriotes pour défendre la Nation.
Critiques du drapeau portugais
Pour les monarchistes, c’est une évidence, ce drapeau républicain est à proscrire. Ils souhaitent le retour du drapeau antérieur, bleu et blanc. Pourtant, le prétendant au trône actuel est un descendant de Miguel I, farouche opposant des libéraux qui instituèrent le bleu et blanc…
Certains intellectuels portugais, connaisseurs de l’histoire du drapeau national, proposent de le faire évoluer. Une évolution plus en adéquation avec le Portugal actuel et historique. Il s’agit en fait de revenir à la proposition concurrente de la version rouge et verte lors du choix républicain d’un nouveau drapeau.
Critiques visuelles
Une critique entendue parfois concerne l’utilisation d’un blason sur le drapeau national. L’argument entendu est celui de l’absence de blason sur les drapeaux des grandes nations modernes.
En arborant un blason, le Portugal serait ainsi un petit pays passéiste. Il s’agit de critiques qui ne sont pas vraiment prises au sérieux.
Dans un registre plus intellectuel, la sphère armillaire n’aurait pas sa place sur le drapeau dans sa forme actuelle. Visuellement, elle est mal dessinée, ne correspondant pas à ce que doit être une véritable sphère armillaire.
De plus, dans l’imaginaire portugais du XIXème siècle, la sphère armillaire était associée au Brésil, comme le démontrait son inclusion sur le drapeau du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves.
Le retour de la sphère armillaire sur le drapeau républicain était la symbolisation du côté colonialiste du Portugal du XXème siècle, sans équivoque.
Les couleurs, selon l’héraldique, sont également une erreur. Les règles de contrariété des couleurs héraldiques sont pourtant très claires :
Jamais métal sur métal, ni émail sur émail.
En héraldique, le rouge est un émail, le vert également. Cet état de fait rend le drapeau portugais peu lisible visuellement.
Aux couleurs rouge et vertes, les critiques préfèrent les couleurs bleue et blanche, associées au Portugal depuis Afonso Henriques.
Toutes ces critiques, mises bout à bout, peuvent faire légitimement réfléchir. Le Portugal n’a jamais été un pays conservateur à l’extrême, et a toujours évolué. Cette capacité d’évolution et d’adaptation est le propre de l’âme portugaise.
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