bizutage des pompiers
bizutage des pompiers

Devenir pompier

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En 2006, je suis devenu pompier volontaire, après quelques mois de formation. Les aléas de la vie ont fait que je n'ai pas pu contribuer longtemps, mais j'en garde un immense respect pour les soldats de la paix.


Le Portugal est régulièrement dévasté par les incendies. Certaines années sont catastrophiques. Ce fut le cas de cette funeste année 2005 dans la région de Leiria, d’où est originaire ma famille.

Prise de conscience

Lorsque vous habitez dans un petit village comme Ilha, Pombal, en plein coeur d’une grande forêt de pins et d’eucalyptus, on ne se rend pas vraiment compte du danger. Mais cet été 2005 fut différent. De multiples incendies s’étaient déclarés un peu partout, souvent simultanés. Pour lutter contre les incendies, le manque de moyens « officiels » fut flagrant.

Les pompiers étaient trop loin. Ceux du Louriçal étaient à 14 km, ceux de Pombal à 16. Mais surtout, ils n’étaient pas assez nombreux. Ce sont les populations locales, touchées par les incendies, qui ont dû se « débrouiller » comme elles ont pu. Cette prise de conscience du manque de moyens donna l’idée aux gens de Guia, Ilha et Mata Mourisca de créer une nouvelle section des pompiers de Pombal sur les trois communes du Oeste.

Ce n’est pas une idée originale. Les mêmes problèmes amènent souvent aux mêmes solutions. Les premiers pompiers de Pombal furent établis en 1911, précisément à la suite des grands incendies de 1910.

Caserne des pompiers de Pombal
La caserne des pompiers de Pombal
Jeunes pompiers
Jeunes pompiers

Le recrutement

Pour créer une nouvelle caserne de pompiers volontaires, il faut des gens. C’est facile, il n’y a qu’à passer une annonce auprès de tous les habitants majeurs des communes concernées souhaitant devenir pompiers. La recherche de candidats est très large, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

Cette année-là, il n’y a pas eu de tests physiques ou psychiques rigides. Les volontaires de Pombal chargés du recrutement se sont montrés flexibles. Néanmoins, il existe tout de même certains critères à respecter et une formation à effectuer.

Des critères physiques tout d’abord. Inutile d’être un athlète de haut niveau, bien sûr, mais il faut tout de même pouvoir monter une échelle. La formation fera ensuite le tri, ceux ne réussissant pas certaines épreuves prenant conscience de leur incapacité à servir chez les soldats de la paix.

Des critères psychiques, plus difficiles à cerner. Encore une fois, c’est la formation qui permettra de faire le tri.

Ambulance de l'INEM
Une ambulance de l’INEM, l’équivalent portugais du SAMU. Elle est en poste à la caserne.

La formation

D’une durée de plusieurs mois, à raison d’une ou deux séances par semaine, elle permet de faire un premier tri chez les centaines de candidats. Ainsi, seront « triés » ceux qui :

  • n’ont pas le temps de suivre une formation n’auront pas le temps d’être pompiers;
  • ne réussissent pas les formations physiques ne peuvent tout simplement pas exercer;
  • ne surmontent pas le choc psychologique.

La théorie

Une première formation théorique est fournie. Des choses simples comme apprendre à lire un extincteur, que faire en cas d’incendie provoqué par un court-circuit, etc. Mais aussi des choses plus dures. Beaucoup plus dures.

Pompier, ce n’est pas que des incendies. C’est surtout, dans les villages portugais, faire l’ambulance ! En cas d’accident de la route, ce sont eux qui sont en première ligne. Eux qui vont désincarcérer des gens pris au piège. Eux encore qui ramassent les morceaux…

Lors de la formation, des images d’une violence inouïe ont été montrées. Des images d’accidents de la route, essentiellement.

Si vous ne réussissez pas à affronter de simples images, imaginez dans la vraie vie. Nous n’avons pas besoin de personnes qui tournent de l’oeil sur les lieux de l’accident.

La pratique

Après cette longue formation théorique, arrive enfin la pratique. Celle qui rentre dans le concret. On apprend à éteindre un incendie, à rentrer dans un immeuble enfumé, à accompagner des malades dans une ambulance.

Voiture de désincarcération
La voiture spécialisée de désincarcération. Vu son âge, elle a du en voir, des accidents de la route…
camion citerne
Le camion citerne.

C’est sans doute le côté le plus sympa de la formation. Apprendre les premiers gestes en cas d’urgence, à faire un massage cardiaque ou à déplacer un grand blessé. J’ai appris beaucoup de choses, dont certaines qui me semblaient impensables sur mes compagnons de formation : les différences de mental. Je m’explique.

Une fois, nous avons simulé un accident de la route. Violent, une personne venait de se faire écraser par un camion. Nous devions retirer l’accidenté, toujours en vie, en le déplaçant avec des gestes précis.

Dans le rôle de l’accidenté sous le camion, un candidat pompier. Souriant et en pleine santé, nous n’étions que dans une formation !

Ambiance bonne enfant, petites blagues entre le « blessé » et les candidats, tout va bien. « Ops, attention, je crois que tu lui as déplacé une vertèbre. Ouch, c’était pas la carotide qui saigne? ». Bref, des blagues, qui dédramatisent l’atmosphère.

Mais une candidate s’est effondrée en larmes. Elle ne se voyait absolument pas faire cette opération « pour de vrai » un jour. Mon état mental était à mille lieues du sien. Elle poursuivra néanmoins sa formation, ayant réussi à affronter cet obstacle, grâce à nos encouragements.

Avoir de l’empathie, c’est nécessaire. Surtout dans ce milieu.

Monument aux pompiers de Pombal
Monument aux pompiers de Pombal

Les pompiers sont un peu des psychopathes

J’exagère, bien sûr, mais certains traits caractéristiques des psychopathes peuvent se retrouver chez les pompiers. Ce sont même des qualités.

La première des qualités est la résistance aux émotions. Un bon pompier ne se laisse pas avoir par les sentiments. Pourquoi c’est utile? Parce qu’il faut savoir garder la tête froide dans des situations pouvant être émotionnellement dévastatrices. Le manque d’empathie devient ainsi une qualité.

Camion de pompiers
Il faut être un peu fou pour affronter les incendies, les accidents de la route ou simplement les incivilités, à bord de vieilles machines…

Dans mon exemple de la candidate en pleurs face à une simulation d’accident de la route, ses émotions l’ont submergées. Elle était bien incapable de poursuivre sa mission.

Face à des situations épouvantables, il faut parfois savoir dédramatiser. Ou même avoir de l’humour noir. Je revois un de nos pompiers formateur, nous disant avec un large sourire qu’il avait le rêve de se prendre en photo avec une tête coupée d’un accidenté de la route…

C’est horrible, et cette anecdote nous montre une chose : il faut être un peu psychopathe pour réussir à travailler et venir en aide dans les pires situations. L’humour noir est peut-être une défense psychologique comme une autre face à une adversité psychologique extrême. Ce n’est pas quelque chose dont on parle souvent, les traumatismes subis par les pompiers, mais c’est bien réel.

De nombreux pompiers, avec des carrières sur des dizaines d’années sont divorcés. La vie de couple est bien difficile, même pour des pompiers volontaires. Les dédommagements au Portugal sont bien maigres en vue des sacrifices consentis.

Devenir pompier, c’est un véritable sacerdoce, et cette formation nous l’a bien montré.

Le jour où je suis devenu pompier

On devient officiellement pompier le jour où l’on reçoit son insigne, que l’on porte sur l’uniforme. Mais pour moi, c’est le jour de la première intervention que l’on devient pompier.

C’est à l’issue d’une cérémonie que nos insignes sont remises. Les autorités municipales sont là, ainsi que les hauts gradés de la corporation des pompiers volontaires. Mais surtout, nos familles sont présentes.

VIPs assis devant les portails de la caserne
Les VIPs sont venus assister aux cérémonies.

Tout est très organisé et codé. N’oublions pas que les pompiers sont une organisation paramilitaire… les soldats de la paix ne sont pas des vains mots ! C’est donc à l’issue d’un petit défilé, effectué au pas, que la cérémonie a eu lieu. Précédés para la fanfare, le petit parcours entre la caserne et le monuments aux pompiers de Pombal est l’occasion de rappeler aux citadins que nous existons. Devant le monument, un moment grave et solennel, en rappel de ceux qui nous ont précédé, qui ont sacrifié leur vie.

Défilé des pompiers
Les pompiers partent pour un défilé en ville
Pompiers en uniforme
Départ des « simples » pompiers pour le défilé, au pas. Cet uniforme rouge, au pantalon bleu, est identique dans tout le pays, fourni gratuitement aux pompiers. On le garde à vie ou presque. Il n’a l’air de rien, mais c’est le plus beau des uniformes !

Cérémonie

Bénédiction du nouveau camion
Bénédiction du nouveau camion

C’est ici que nous pouvons voir une différence majeure avec la France. Une petite partie de la cérémonie a été célébrée par le chapelain de la corporation des pompiers de Pombal. Impensable dans un autre pays laïc !

Mais c’est une tradition, qui ne fait concrètement de mal à personne. Les catholiques sont contents, les superstitieux aussi. Les athées haussent les épaules et les autres confessions religieuses acceptent que l’on puisse demander à Dieu une certaine protection, même s’il ne s’agit pas de leurs rites.

Monument aux pompiers
Le monument aux pompiers. Au fond au centre, le chapelain.
Bénédiction des pompiers
Le silence est solennel.
Cérémonie des pompiers
C’était un honneur que de faire partie de la corporation des pompiers de Pombal.
Cour de la caserne
Dans la cour de la caserne
Pompiers au garde-à-vous
Rituel immuable
Serment des pompiers
Le serment des pompiers
Insigne de pompier
Votre serviteur au premier plan. Je reçois mon insigne de pompier.

Bref, les pompiers sont des soldats de la paix, et non de discorde. La bénédiction religieuse est un « bonus » de la célébration laïque et républicaine.

Une fois de retour à la caserne, le serment des pompiers. Nous jurons de servir et d’aider notre prochain, quel qu’il soit, en toutes circonstances.

Discours des autorités
Discours des autorités
Pompes et pompiers
Bizutage des pompiers : allez, tout le monde doit faire des pompes !
bizutage des pompiers
Bizutage des pompiers à l’issue des cérémonies officielles. Allez, tout le monde à l’eau !
Repas dans la caserne
Une fois secs, nos jeunes pompiers déjeunent avec leurs proches dans la caserne, un grand repas est servi pour l’occasion.

Ambulance pour vieux

Je vous l’ai dit, je suis véritablement devenu pompier lors de ma première intervention. C’était une urgence médicale, je monte dans l’ambulance avec mon supérieur. Je n’oublierais jamais le regard de la famille de la personne malade, en nous voyant arriver. Un regard rempli d’inquiétude et d’espoir, posé sur moi, simple pompier débutant. Moi qui n’en menait pas large, regardant très attentivement les gestes de mon supérieur.

Depuis lors, et quelques nuits passées à la caserne, j’ai eu bien d’autres interventions, qui m’on fait comprendre où se trouve l’essentiel du travail des pompiers. Il ne s’agit pas d’éteindre des incendies. Il s’agit de faire le « taxi pour vieux ».

C’est méprisant comme expression, mais reflète la réalité, là où les pompiers passent le plus clair de leur temps en dehors de l’été. Et c’est une mission tout aussi noble, voir plus, que d’éteindre un feu de forêt.

Association bénévole

Appelé par des impératifs professionnels en France, je n’ai pas pu continuer de servir en tant que pompier volontaire au Portugal. Mais cette courte expérience restera gravée à jamais dans ma mémoire. Un immense respect pour ces bénévoles, qui donnent de leur temps et de leur personne pour venir en aide à leur prochain.

L’association des pompiers volontaires de Pombal vit essentiellement grâce aux cotisations de ses membres, aux dons de quelques bienfaiteurs et des aides publiques. Souvent démunis, au matériel hors d’âge, chaque année face à l’ampleur des incendies toujours plus terrifiants, on se demande comment les pompiers parviennent à remplir leur mission. Un miracle, peut-être !

Aujourd’hui, la section des pompiers du Oeste fonctionne bien, avec une petite caserne moderne et fonctionnelle. C’est la fierté des gens de Guia, Ilha et Mata Mourisca ! C’est aussi une caractéristique portugaise : l’associativisme et le collectif sont très forts. Lorsque le peuple veut vraiment quelque chose, il y parvient.


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