La conservation du patrimoine artistique et sa valorisation publique dans des musées a été, dans le Portugal du XIXe siècle, quelque chose qui s’est construit petit à petit. Un processus long, fait d’avancées, mais aussi de retours en arrière…
Au XVIIIe siècle, le musée archéologique qui se trouvait au siège de l’Académie Royale d’Histoire du Portugal, institué par le roi Jean V, était pionnier en Europe. Malheureusement, il fut entièrement détruit lors du séisme de Lisbonne en 1755. Il faudra attendre le siècle suivant et la Révolution Libérale pour qu’à nouveau, un musée public de l’Etat dédié à l’Art existe à nouveau, avec le Musée de Porto (Museu Portuense).
Sommaire
Lire aussi : La sauvegarde du patrimoine selon Jean V
Collectionnisme privé
Malgré les coups du sort, l’intérêt pour le potentiel pédagogique des musées fut toujours présent. Il fallu toute la volonté du marquis de Pombal pour que le premier musée à caractère public et pédagogique soit créé, le Real Museu da Ajuda, aujourd’hui Musée d’Histoire Naturelle. L’Art ne faisait pas partie des priorités, mais au manque de présence – ou d’envie – des institutions publiques à la création de musées liés à l’Art se substituait l’initiative privée.
Le goût pour le collectionnisme a marqué les Portugais dès les débuts de la Nation au Moyen Âge. Mais les collections étaient principalement entre les mains de particuliers, loin de la vue du public en général. Apanage des puissants, qu’ils soient nobles, ecclésiastiques ou bourgeois, les collections servaient les goûts personnels, la dévotion ou des intentions de prestige, comme le furent les collections royales. On ne recherchait pas alors la création de collections qui puissent servir d’instruments pédagogique, et encore moins quelque chose qui puisse œuvrer pour le « bien commun ». Ce collectionnisme sera la règle jusqu’à la victoire des idéaux libéraux au XIXe siècle et la mise en place du Museu Portuense en 1833, qui mettra de longues années à enfin ouvrir ses portes au public. Le musée était le témoin du passage du goût personnel à la muséalisation comme instrument d’apprentissage.
Musées, instruments de progrès
L’Europe connaissait au XIXe siècle une frénésie culturelle sans précédents, au rythme de la Révolution Industrielle et de l’urbanisation galopante. En plus du progrès technique, il fallait additionner le progrès des idées de l’Illuminisme, cristallisées par la Révolution Française. Dans ce contexte, le Libéralisme recherchait “l’ordre et le progrès » par l’éducation des populations, par la diffusion de la connaissance. Les musées étaient une des facettes de ce programme, en transférant les collections privées au bien public et aux expositions ouvertes à tous, pour le bien commun. La Révolution Libérale portugaise, en lutte contre l’ordre ancien, ne pouvait être que favorable à tel objectif. Sous la houlette de Passos Manuel est votée toute une législation favorable à la promotion de l’éducation des Portugais. Cette éducation se traduisait par la réforme de l’instruction publique, la création de conservatoires, académies, bibliothèques et musées, tant au niveau national que régional. Les objets d’art faisaient partie de ce programme ambitieux.
Quand le peintre João Baptista Ribeiro suggéra à Pierre IV de créer un musée alors que la ville de Porto était encore assiégée par les forces de Miguel lors de la guerre civile, les conditions idéologiques étaient réunies. Les conditions matérielles étaient également au rendez-vous avec la déroute des troupes de Miguel. Avec l’extinction conséquente des ordres religieux en 1834, et la confiscation des biens des partisans de Miguel, le pays récupéra d’immenses trésors artistiques. Il était désormais du devoir du pays de valoriser ces œuvres d’art, pour le bien collectif. Le parallèle avec la création du Musée du Louvre en 1792 par les forces révolutionnaires françaises est évident, le Portugal s’inscrivant lui aussi dans le vaste mouvement européen d’avancée des idées libérales.
Inintérêt des élites
Malgré le progrès évident dans les mentalités, les élites portugaises semblaient pour la plupart ne pas valoriser leur propre patrimoine, par inintérêt ou négligence. Les collections artistiques pouvaient même être dispersées, si ce n’est détruites. Il n’y avait pas de volonté de la part des collectionneurs privés d’exposer au public leurs collections.
Il aura fallu toute l’énergie d’un citoyen britannique, habitant de Porto, pour que le premier musée ouvert au public commença son activité en 1836, quatre ans avant l’ouverture du Museu Portuense. John Allen, un riche commerçant de Porto d’origine britannique avait permis de cette façon au public d’apprécier ses collections artistiques personnelles. Toutefois, cette ouverture au public de celui qui deviendrait le futur Musée Municipal de Porto, fruit d’un empirisme et amateurisme éclairé n’obéissait pas encore totalement à l’idéal scientifique de son époque.
L’éclectisme des collections, issues du goût personnel de Allen et de sa curiosité encyclopédique n’était pas compatible avec un programme recherché d’éducation artistique destinée au public. De cette façon, les collections étaient exposées sans organisation ni programme pédagogique construit, n’obéissant à rien d’autre qu’au goût de Allen. Son ouverture au public était également limitée, le musée n’étant accessible que certains jours de la semaine. Son plus grand mérite fut celui d’ouvrir la voie à une nouvelle conscience du phénomène muséologique au sein de la ville de Porto, ce qui compensait en partie les failles de l’Etat.
Museu Portuense
Finalement, avec l’ouverture en 1840 du Musée de Porto au bout de plusieurs années de préparation, on consacrait la doctrine pédagogique du gouvernement libéral, tout comme la sauvegarde du patrimoine. L’objectif était double : faire grandir la conscience d’appartenir à une Nation par la connaissance de son histoire, civilisation et Art, matérialisés dans les musées, et exalter les mentalités vers le progrès.
Les objectifs, pourtant idéologiquement centraux pour le nouvel Etat Libéral, furent confrontés avec les difficultés économiques récurrentes du pays. Des problèmes administratifs et financiers retardèrent l’ouverture du Musée de Porto, qui connaitra en permanence des difficultés pendant toute la période où il resta ouvert. Pour la postérité du Libéralisme et du Musée, on conservera la création d’une Institution d’Utilité Publique, ouvrant ainsi le chemin à d’autres musées publics similaires dans le pays. Tous les Portugais pouvaient espérer un jour accéder à ces nouveaux instruments de diffusion culturelle, auxiliaires de l’enseignement, au moins dans les intentions de l’Etat.
Bibliographie
- ALMEIDA, António Manuel Passos – Contributos ao Estudo da Museologia Portuense no Século XIX. Ciências e técnicas do património. Porto : Faculté de Lettres de l’Université de Porto, I Série vol. V-VI, pp. 31-55, 2006-2007.
- ALMEIDA, António Manuel Passos – Museu Municipal do Porto: Das Origens à sua Extinção (1836-1940). Porto : Faculté de Lettres de l’Université de Porto, 2008. Mémoire de maîtrise.
- ANTUNES, Manuel de Azevedo – Pelos caminhos da museologia em Portugal. Revista Iberoamericana de turismo. Penedo : Revista Iberoamericana de Turismo, Número Especial, p. 142-156, out. 2015.
- MENDES, José Amado – Museus e Educação. 2ª ed. Coimbra: Imprensa da Universidade de Coimbra, 2013.
- ORTIGÃO, Ramalho – O Culto da Arte em Portugal, Lisboa, António Maria Pereira, 1896. [consult. 31/03/2020]. Disponible sur Internet : http://purl.pt/207
- PRATA, Jorge Manuel – A emergência da noção de Património. Lisbonne : Université de Lisbonne, 2010. [consult. 31/03/2020]. Disponible sur Internet : https://www.icjp.pt/sites/default/files/media/662-1093.pdf
- ROCHA-TRINDADE, Maria Beatriz [et al.] – Iniciação à Museologia. Lisbonne : Universidade Aberta, 1993.
- RAMOS, Paulo Oliveira – O alvará régio de 20 de agosto de 1721 e D. Rodrigo Anes de Sá Almeida e Meneses, o 1° marquês de Abrantes: uma leitura. Discursos: língua, cultura e sociedade. [Em linha] Lisbonne : Universidade Aberta, 2005. [consult. 31/03/2020]. Disponible sur Internet : https://repositorioaberto.uab.pt/handle/10400.2/4320
- SEMEDO, Alice – Da invenção do museu público: tecnologias e contextos. Ciências e técnicas do património. Porto : Faculté de Lettres de l’Université de Porto, I Série vol. III, pp. 129-136, 2004.
Soutenir le Portugal en français
Aidez-nous à faire connaître le Portugal, en français !
Nous ne voulons pas faire payer pour accéder aux contenus. Le Portugal en français n’aurait alors plus de raison d’exister !
Le Portugal en français est un site gratuit, et il le restera, grâce à vous !